L’employeur est tenu de préserver la santé au travail de ses salariés. Pour cela, il doit notamment lui assurer un suivi médical approprié par des professionnels de santé d’un service de santé au travail. Que risque-t-il si le suivi médical n’est pas adapté ? Le salarié peut-il demander à obtenir réparation ou doit-il prouver un préjudice ? La question se complique si on regarde le droit européen…
Audrey Gillard Juriste droit social
Suivi médical des travailleurs : rappel
Afin d’assurer le respect de son obligation de préserver la santé de ses travailleurs, l’employeur doit notamment assurer le suivi en santé travail de ces derniers. Pour cela il a l’obligation d’adhérer à ou de constituer un service de prévention et de santé au travail (SPST). Ce service a pour mission d’éviter l’altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail.
Les professionnels de ces services mettent en œuvre différentes actions de prévention et des « visites » médicales adaptées aux risques auxquels sont exposés les travailleurs.
Ce suivi est constitué :
- d’un suivi individuel « classique » pour les salariés évoluant sur des postes de travail ne présentant pas de risques particulier. Ce suivi comprend une visite d’information et de prévention à l’embauche, laquelle est renouvelée tous les 5 ans maximum. Les salariés sont vus soit par un infirmier en santé travail soit par un médecin du travail. Et il leur est remis à l’issue de cette visite une attestation de suivi ou, le cas échéant un avis d’aptitude ou d’inaptitude ;
- d’un suivi individuel renforcé pour les salariés exposés à des risques particuliers pour leur santé, leur sécurité ou pour celles de leurs collègues ou de tiers. Ce suivi est constitué d’un examen médical d’aptitude avant l’embauche donnant lieu à la délivrance d’un avis d’aptitude (ou d’inaptitude le cas échéant) par le médecin du travail exclusivement. Cet examen est renouvelé à fréquence et au maximum tous les 4 ans. Une visite intermédiaire est effectuée par un professionnel de santé tous les deux ans au plus tard après l’examen du médecin.
Sont considérés comme des risques ouvrant droit au suivi individuel renforcé l’exposition à l’amiante, au plomb selon des valeurs d’expositions professionnelles, aux agents cancérogènes ou pouvant causer des mutations génétiques ou nuire à la fonction de reproduction (agents CMR), aux rayonnements ionisants, aux agents biologiques des groupes 3 et 4, à un milieu hyperbare ou encore à des risques de chute de hauteur lors d’opérations de montage et démontage d’échafaudages.
Bon à savoir
Notons qu’avant la réforme de 2016, d’autres catégories de travailleurs bénéficiaient d’une surveillance médicale renforcée notamment les femmes enceintes, les travailleurs de nuit, les travailleurs handicapés. Ces catégories de travailleurs bénéficient, depuis 2016, non plus d’une surveillance médicale renforcée, mais d’un suivi individuel « adapté ».
Quel que soit le type de suivi auquel le salarié est affecté, celui-ci est obligatoire, tant pour l’employeur que pour le salarié.
À l’occasion d’un litige concernant un travailleur de nuit, la Cour de cassation a eu l’occasion de s’interroger sur le fait de savoir si le seul fait que l’employeur ne respecte pas les dispositions en matière de suivi individuel régulier de l’état de santé du travailleur de nuit (en dehors de toute démonstration d’un préjudice quelconque) ouvre droit à réparation.
Non-respect du suivi médical : pas de préjudice, pas d’indemnisation pour le moment
Dans cette affaire, un salarié engagé en qualité d’agent SSIAP (service de sécurité incendie et d’assistance à personnes) saisit le conseil des prud’hommes afin d’obtenir la résiliation judiciaire de son contrat et diverses indemnisations dont une au titre de l’absence de suivi médical renforcé (devenu suivi individuel renforcé depuis 2016).
En effet, le salarié s’est vu à plusieurs reprises changer ses horaires de travail, passant d’horaires de jour en horaires de nuit. Le salarié estimait qu’il était devenu un travailleur de nuit et devait à ce titre bénéficier du suivi médical en santé travail approprié, à savoir : une surveillance médicale renforcée, telle qu’applicable aux travailleurs de nuit antérieurement à la réforme survenue en 2016.
Le 1er juillet 2019 le salarié est licencié.
Devant la cour d’appel, le salarié n’obtiendra pas gain de cause, et sera débouté de sa demande en réparation. Les juges estiment que le salarié ne démontrait pas la réalité et la consistance de son préjudice.
Le salarié se pourvoit alors en cassation. Il s’appuie sur les dispositions européennes (et notamment l’article 9 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003) pour dire que le non-respect des dispositions légales relatives au suivi médical renforcé (aujourd’hui « suivi individuel renforcé ») pour le travail de nuit ouvre droit à réparation, sans qu’il n’ait à prouver de préjudice particulier en découlant.
Important
Notons qu’en matière de non-respect des durées de travail maximales, la CJUE avait eu l’occasion, et la Cour de cassation ensuite, de dire que le seul fait de dépasser la durée maximale de travail hebdomadaire constitue à lui seul un préjudice au travailleur ouvrant droit à réparation. Position que la Cour de cassation vient d’ailleurs de réaffirmer dans une décision du 27 septembre 2023.
C’est donc en se basant sur cette jurisprudence que le salarié a estimé que ce raisonnement devait être transposé en cas de violation des dispositions protectrices en matière de suivi médical renforcé pour le travail de nuit.
La Cour de cassation décide de renvoyer à la Cour de justice européenne l’interprétation de ces dispositions et lui demande de se prononcer sur le fait de savoir si le défaut de respect des mesures en santé travail adoptées par le droit national en matière de travail de nuit constitue ou non une violation de l’article 9 précité, ne nécessitant pas, de fait, que le travailleur démontre l’existence d’un préjudice spécifique en résultant.
Dans l’attente de la réponse de la CJUE (non parue à ce jour), le salarié doit démontrer l’existence et la consistance du préjudice lié au non-respect du suivi médical approprié en matière de travail de nuit pour obtenir réparation.
Affaire à suivre…
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Cour de cassation, chambre sociale, 7 juin 2023, n° 21-23.557 (le salarié doit faire la preuve de l’existence et de l’importance de son préjudice résultant du non-respect du suivi médical adapté à sa situation pour obtenir réparation) (Il y a lieu de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l’Union européenne sur la question notamment de savoir si le droit européen doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que le droit à réparation du salarié en cas de manquement dans l’évaluation de sa santé est subordonné à la preuve du préjudice qui aurait résulté de ce manquement)
Cour de cassation, chambre sociale, 27 septembre 2023, n° 21-24.782 (le dépassement de la durée hebdomadaire maximale de travail du travailleur de nuit calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives ouvre, à lui seul, droit à la réparation)