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Le gouvernement français a-t-il fauté en ne consultant pas les États voisins sur ses projets nucléaires ? Un comité international de juristes devrait l’y contraindre.
Source : La France nucléaire ignorerait trop ses voisins, alerte un comité de l’OnuLa centrale du Tricastin, qui a commencé à fonctionner il y a 43 ans, est située à moins de 300 kilomètres de Turin. L’Italie veut en savoir plus sur la prolongation de son activité. | AFP
Seuls quelques spécialistes connaissent la convention d’Espoo, qui, sous l’égide l’Organisation des nations unies, réunit 45 États dans le monde, dont ceux du Vieux continent. Ce texte, du nom d’une ville finlandaise où elle a été adoptée en 1991, l’Union européenne l’a approuvé en 1997 et la France l’a ratifié en 2001. Mais lorsqu’il s’agit de mener ses projets dans l’industrie nucléaire, la France semble s’en affranchir.
À quoi sert-elle, cette convention d’Espoo ? À éviter qu’un État entreprenne un projet industriel qui porte atteinte à l’environnement au-delà de ses propres frontières.
Parmi les projets devant se soumettre à la convention, les constructions de centrales nucléaires, mais aussi l’allongement de leur durée de fonctionnement. Comme celui que le gouvernement et EDF ont décidé pour les 32 réacteurs de 900 megawatts (MW), entrés en service entre 1977 et 1987, et qu’ils veulent pousser au-delà des 40 ans de durée de vie initialement prévus (et parfois déjà dépassés), faute de quoi, la France manquera d’électricité d’ici quelques années.
Décision du 22 septembre
Les deux principales décisions françaises en la matière sont un accord de principe global de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur l’ensemble de ces réacteurs, en 2021, puis un autre accord portant sur le premier réacteur concerné, le réacteur 1 du Tricastin, donné en août 2023. Tous les autres réacteurs devront recevoir la même autorisation les uns après les autres.
Mais les autorisations françaises suffisent-elles ? Non, viennent de dire les juristes internationaux qui, au sein de l’Onu, veillent au respect de la convention de l’Espoo et qui ont été alertés par Greenpeace. Une décision a ainsi été publiée le 22 septembre par ce « comité d’application des Nations Unies de la Convention sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière ».
Le comité a décidé d’ouvrir une procédure contre la France en raison d’une profonde suspicion de non-respect par la France de ses obligations ».
L’État français devra donc s’expliquer lors d’une prochaine session du comité entre le 18 et le 21 juin 2024.
Dans une lettre adressée au comité, le gouvernement français avait, lui, estimé que les importants travaux de refonte de ses vieux réacteurs (une cinquantaine de milliards d’euros selon EDF) ne sont pas susceptibles d’avoir un impact transfrontière ».
Le drame de Tchernobyl rappelle pourtant que les nuages radioactifs nés en Ukraine ont touché jusqu’à la Scandinavie, le Royaume-Uni, ainsi que la France, pourtant distante de 2 000 kilomètres.
L’Italie s’est manifestée
De plus, le gouvernement français, relève le comité, a omis de mentionner que l’Italie s’est, dans une lettre du 14 janvier 2021, déclarée concernée
par la prolongation des vieux réacteurs français. Dans la vallée du Rhône, on compte pas moins de 14 réacteurs français situés à moins de 300 km de Turin, dont les plus anciens (Bugey) ont 45 ans et les plus récents (Saint-Alban), 37 ans.
Interrogée par Ouest-France, EDF se refuse à tout commentaire, le sujet relevant de l’État français. Du côté du gouvernement, le ministère de la Transition écologique assure que la France respecte pleinement ses engagements au titre de la convention d’Espoo
et qu’elle mène les consultations et informations obligatoires nécessaires »,
tout en se tenant à disposition des parties concernées
. La subtilité juridique sur laquelle s’appuie plus précisément le gouvernement est de considérer que contrairement à ce que certaines parties prenantes véhiculent à tort », assure le ministère,
les réacteurs nucléaires ne font pas l’objet de prolongation de leur durée de vie » …
puisque celle-ci n’est déterminée nulle part en droit français.
Une « consultation juridique » rédigée par un panel de spécialiste du droit de l’environnement (Julien Bétaille, maître de conférences à Toulouse, Hubert Delzangles, professeur agrégé à l’Institut de sciences politiques de Bordeaux et Michel Prieur, professeur agrégé et ancien doyen de la faculté de droit de Limoges) estime pourtant l’argument fallacieux.
Ils relèvent que l’importance de cette prolongation au-delà de 40 ans est soulignée par une annonce spécifique du président de la République lui-même, ainsi que l’allocation d’un budget de 50 milliards par EDF, toute une série de décisions et recommandations spécifiques de l’Autorité de sûreté nucléaire, etc.
Autant d’éléments qui vont à l’encontre de la décision du gouvernement de ne pas considérer la prolongation de ses vieux réacteurs ainsi que leur modernisation comme des événements assez importants pour qu’ils doivent informer et consulter les autres États.
Pas de doute, selon un spécialiste du droit
Mais qu’aurait dû faire exactement la France ? Tout d’abord notifier ses intentions à tous les États susceptibles d’être concernés par un éventuel accident nucléaire, puis leur adresser une étude d’impact, afin que le projet puisse être amélioré en prenant en compte leur avis,
rappelle Michel Prieur, l’une des sommités du droit de l’environnement.
Le professeur Prieur n’est pas seulement auteur, depuis 40 ans, du précis Dalloz sur le droit de l’environnement. Il est aussi l’ancien représentant de la France au sein du comité de la convention d’Espoo. J’ai à ce titre participé à la première décision du comité qui, en 2014, a clairement établi que la prolongation de durée de vie d’une centrale nucléaire relève de la convention d’Espoo ».
Il s’agissait alors d’une centrale ukrainienne, mais d’autres cas ont donné lieu à des décisions semblables du comité depuis lors, concernant notamment les réacteurs Doel 1 et 2, en Belgique.
Par ailleurs, la consultation juridique à laquelle a participé le professeur Prieur, rappelle que « la jurisprudence internationale », notamment de la Cour internationale de justice, ainsi que la multiplication des traités internationaux tels que les déclarations de Stockholm en 1972 puis de Rio en 1992, amènent à considérer qu’il existe en droit international général une obligation de procéder à une évaluation de l’impact sur l’environnement lorsque l’activité industrielle projetée risque d’avoir un impact préjudiciable important dans un contexte transfrontière ».
Le risque d’une condamnation européenne
Quelles conséquences pour la France ? Si la procédure au titre de la convention d’Espoo va à son terme, et que les États estiment que la France a bien violé la convention, la France sera exposée à une crise diplomatique et médiatique,
indique Michel Prieur. Ce dont la France se passerait bien au moment où elle bataille pour imposer au sein de l’Union européenne des règles financières favorables à son parc nucléaire.
Il s’y ajoute le risque d’une condamnation par la cour de justice de l’Union européenne, puisque la convention d’Espoo est incluse dans le droit communautaire,
indique Michel Prieur, si elle était poursuivie par un État membre ou par la Commission européenne.
La cour de justice européenne a d’ailleurs, en 2019, estimé que la Belgique avait enfreint le droit de l’Union à plusieurs titres en ne consultant pas les États voisins avant de prolonger l’activité des deux réacteurs de Doel.
Pour ce qui est de la France, ce n’est pas la première fois qu’elle s’abstient de réaliser et diffuser des études d’impact environnemental. Les premières centrales françaises (Creys-Malville, Gravelines, Flamanville) en ont été dispensées au niveau national, faute de texte encore en vigueur et aucun des 56 réacteurs français n’a fait l’objet d’une procédure transfrontière au titre de la convention d’Espoo,
relève la note de Julien Bétaille, Huber Delzangles et Michel Prieur.