16 décembre 2021 par Nolwenn Weiler
Le développement de « petits réacteurs modulaires » nucléaires est l’objectif numéro 1 du plan de relance annoncé par Emmanuel Macron. Un milliard d’euros seront débloqués pour ce projet, qui s’apparente pour certains à une chimère…
« Faire émerger en France, d’ici à 2030, des réacteurs nucléaires de petite taille innovants, avec une meilleure gestion des déchets », des réacteurs « beaucoup plus petits et beaucoup plus sûrs ». C’est ainsi qu’Emmanuel Macron a présenté les « small modular reactors » (SMR, ou « petits réacteurs modulaires ») le 12 octobre, lors de son discours sur le plan de relance « France 2030 » [1]. D’une puissance largement moindre que les réacteurs classiques, entre 3 et 200 mégawatts (MW) contre 900 à 1450 MW, les SMR se présenteraient sous forme de kits prêts à monter, qui seraient préfabriqués en usine.
« Les petits réacteurs modulaires pourraient remplacer des centrales à combustibles fossiles vieillissantes, avance l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). lls constituent une solution adaptée pour les régions isolées disposant d’infrastructures moins développées et peuvent s’intégrer à des systèmes hybrides associant d’autres sources d’énergie, dont les renouvelables ». Ces miniréacteurs peuvent-ils vraiment contribuer, demain, à produire l’électricité dont la France aura besoin ?
70 projets à l’étude, aucune commande
Pour le moment, seule la Russie s’est dotée de SMR. Stationnés sur une barge flottante, ils ont une puissance de 35 MW chacun et permettent d’alimenter le petit port de Pevek (4500 habitants), située à 350 km au-delà du cercle arctique, sur la mer de Sibérie orientale [2]. 70 autres projets sont à l’étude dans le monde, certains étant « à un stade de conception avancé » aux États-unis, en Chine et en Corée du Sud, fait savoir l’Institut français de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). La majorité de ces petits réacteurs nucléaires « restent au stade d’un avant-projet détaillé, peu d’exploitants nucléaires ayant manifesté leur intention de se doter de ce type de réacteurs », ajoute l’institut.
Ces nuances n’empêchent pas l’enthousiasme de notre président. Pour Emmanuel Macron, les SMR doivent en effet permettre de « réinventer le nucléaire ». En France, le consortium qui planche actuellement sur le projet national de SMR – baptisé Nuward pour « Nuclear Forward » (« En avant le nucléaire ») – regroupe des agences et entreprises publiques : le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), EDF, Naval Group et TechnicAtome. « Il y a déjà eu un projet français similaire dans les années 2000 : le « Flexblue » », se souvient Pascal, du service ingénierie nucléaire d’EDF. Développé par les mêmes acteurs, le Flexblue était composé d’un cylindre d’une centaine de mètres de longueur, et de 12 à 15 mètres de diamètre. Il devait être posé à 50 ou 100 mètres au fond de la mer et raccordé au littoral par des câbles électriques sous-marins.
« Le projet a été abandonné vers 2015 pour des raisons soi-disant écologiques car il entraînait un réchauffement trop important de l’eau, ajoute Pascal. Là, ils ont ressorti ce projet des cartons et ils ont changé quelques trucs ». Ajoutons que le Nuward sera un réacteur à eau pressurisée (REP), la même technologie que les réacteurs actuels. Pour le moment, les concepteurs du Nuward planchent sur le design du réacteur et de ses composants. Ils prévoient de présenter leurs options de sûreté à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) fin 2022. Parmi les agents EDF, ces délais semblent très optimistes, et le « business plan » peu sérieux.
Des réacteurs en série mais pas d’usine pour les fabriquer
« Pour que le projet soit viable économiquement, il faudrait construire des centaines de SMR, et donc commencer par monter plusieurs énormes usines », avance Stéphane, agent de conduite dans une centrale nucléaire française. Problème : comment peut-on engager les sommes astronomiques qu’impliquent de telles construction alors même qu’aucune commande n’a été passée ? « En plus Emmanuel Macron a annoncé un budget d’un milliard d’euros. C’est vraiment n’importe quoi. » La somme est si ridicule au regard du coût réel d’un tel projet qu’elle laisse les spécialistes de la question presque sans voix [3].
« Les États Unis ont investi 1,2 milliard pour financer les études préalables à la construction d’un prototype, détaille Pascal. Il faudrait 8 SMR de 170 MW pour arriver à égaler la production d’un réacteur de 1300 MW. S’ils coûtent chacun 1,2 milliards, on arrive à près de 10 milliards. On n’est plus très loin du coût actuel de l’EPR qui en est à 12 milliards. Si on imagine en plus qu’ils doivent être construits dans des endroits difficiles d’accès, on augmente encore les coûts » [4].
« La raison principale pour faire des plus gros réacteurs, c’est que cela réduit les coûts », rappelle Pascal. En augmentant la taille des réacteurs, on optimise les coûts d’ingénierie et de production. C’est l’un des arguments avancés en faveur de l’EPR. Développer les SMR, c’est donc s’opposer à la logique qui guide la filière nucléaire depuis plus de 40 ans.
Des dizaines de petits réacteurs nucléaires à surveiller, partout en France ?
Autre avantage mis en avant à propos des SMR : leur plus grande sûreté. Ils « affichent des performances accrues en matière de sûreté » affirme l’AIEA. L’IRSN, qui tend plutôt à partager l’optimisme de l’AIEA sur cette question de la sûreté, estime néanmoins que « seul un examen détaillé des choix et des hypothèses de conception permettrait d’évaluer les gains possibles en matière de sûreté par rapport à des réacteurs de puissance plus élevée ». Traduction : on ne sait pas encore s’ils seront plus sûrs ou non.
Il y en aura en tout cas beaucoup plus à surveiller. Si l’on prend au sérieux la volonté de développer ces mini-centrales nucléaires, rien que pour remplacer les 14 réacteurs de 900 MW les plus anciens, censés être stoppés d’ici une décennie, la construction d’au moins 70 SMR de 170 MW seront nécessaires. Autant de fissions nucléaires à contrôler, d’approvisionnement en uranium à assurer, de petites zones de stockage de déchets à sécuriser, de risque de fuites radioactives à prévenir, puis de sites à démanteler.
« Qui va faire tout cela, et dans quelles conditions ? s’inquiète Gilles Reynaud de l’association Ma zone contrôlée qui réunit des travailleurs sous-traitants, qui interviennent souvent dans les zones les plus radioactives des centrales. Pour le moment, c’est nous qui effectuons 80 % du travail dans les centrales. Quels seront les risques de réacteurs plus petits ? On entend que le SMR pourraient être mis n’importe où, mais qu’est-ce que cela signifie ? ». « L’idée me semble un peu loufoque, ajoute Luc, agent de conduite depuis 30 ans. Les coûts de sécurisation des machines et des sites sont tels que je ne vois pas l’intérêt de les mettre en œuvre pour de si petites puissances. »
« Les études de sûreté seront les mêmes que pour un gros réacteur, prévient un ingénieur EDF. Et l’ASN a toujours des remarques à faire, des choses qui ne lui plaisent pas. Pour un nouveau système, elle va poser beaucoup de questions. Cela va prendre beaucoup de temps. » Comme il s’agit d’un produit qui doit être exportable sans modifications, il sera nécessaire qu’il soit examiné puis autorisé par plusieurs autorités de sûreté en parallèle. Cette collaboration entre diverses autoritésreste à inventer.
Des réacteurs nucléaires ouverts à la concurrence ?
« Les SMR peuvent relancer la filière française, veut croire un agent EDF, délégué syndical CGT à la centrale de Fessenheim. À condition, évidemment, d’avoir une vraie politique industrielle et énergétique. C’est malheureusement ce qui nous manque. Ils veulent réduire le nucléaire et ont décidé de fermer Fessenheim. 800 millions d’euros y avaient été investis en dix ans et la centrale n’était pas la plus mal placée en terme de sûreté, loin de là. Puis finalement ils veulent des SMR et deux ministres ont déclaré récemment vouloir élargir le volume de l’Arenh [Accès régulé à l’électricité nucléaire historique] [5] . Ils partent vraiment dans tous les sens. Je ne comprends rien. »
L’Arenh a été mis en place sous le mandat de Nicolas Sarkozy pour répondre à l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité, et permettre l’émergence de concurrents viables face à l’opérateur public, EDF. L’Arenh impose à EDF de « céder à bas prix un quart de sa production nucléaire à ses concurrents pour que ceux-ci puissent la vendre au détail et lui piquer des clients, expliquait François Dos Santos, ex-responsable (CGT) du comité central d’entreprise à Basta! en février 2020. C’est donc EDF qui, de fait, subventionne ses concurrents en attendant qu’ils se dotent de leurs propres moyens de production. »
Le système « Arenh » doit prendre fin en 2025. Les fournisseurs privés sont, d’ici là, censés s’être dotés de leur propre capacité de production, EDF n’étant plus obligé de vendre à bas coût la sienne. Mais en dix ans, lesdits concurrents ne se sont dotés d’aucun moyen de production. Ils n’ont rien construit. « Au lieu de reconnaître que ce bradage d’un bien commun public ne fonctionne pas, nos dirigeants proposent d’élargir l’Arenh », s’insurge Stéphane.
« Si on résume, ils veulent diminuer la part du nucléaire – c’est en tout cas ce qu’ils disent – tout en augmentant les volume d’énergie nucléaire. C’est du grand n’importe quoi. Ces gens ne sont pas sérieux, soupire son collègue de Fessenheim. On va encore réduire les investissements pour la transition énergétique pendant que les fournisseurs privés vont s’en mettre plein les poches. »
« Avec les SMR, Emmanuel Macron a fait une annonce purement politique, pense Stéphane. Il a promis des réacteurs tout petits et tout gentils… Mais il ne faut pas imaginer qu’ils vont remplacer les centrales nucléaires existantes. Ils ne sont pas faits pour ça. Pourquoi remplacerait-on un réacteur de 900 MW par quatre ou cinq petits SMR ? Cela n’a aucun sens. » Les SMR, s’ils existent un jour, seront destinés à l’export. C’est d’ailleurs ainsi que les présente l’IRSN. « Tout le monde se dit « c’est super, on va construire de nouveaux trucs », mais pour le moment, il n’y a pas vraiment de marché », dit Pascal, du service ingénierie nucléaire d’EDF. Seule certitude pour ces travailleurs du secteur : les coûts de l’énergie risquent d’augmenter pour tout le monde. Quant aux SMR, ils engloutiront énormément d’argent public avant de produire leur premier mégawatt ; si tant est que ce soit un jour possible.
Nolwenn Weiler
Bonjour,
Sera t’il possible de commander un groupe éléctrogène sur aliexpress ?
Ça fait rêver autant que les trucs qui piquent ?
Une commande groupée est-elle prévue ?