L’EPR de Flamanville devrait commencer à produire à l’été 2024. C’est en tout cas la dernière promesse en date d’EDF. Mais on ne peut exclure que de nouveaux grains de sable différent encore la mise en service, qui affiche déjà douze ans de retard.
Source : Nucléaire. Les nouvelles malfaçons évoquées peuvent-elles retarder encore l’EPR de Flamanville ?
Le 27 mars 2024, EDF a annoncé que l’EPR de Flamanville est « techniquement prêt pour engager sa mise service ». Et il a précisé que sa « connexion au réseau électrique national » est désormais prévue « à l’été 2024 ». L’été, au sens administratif, s’étendant du 20 juin au 22 septembre, cela laisse trois mois de marge.
Si tel était le cas, l’EPR de Flamanville démarrerait donc avec au moins douze ans de retard. En effet, au début des travaux de construction, en décembre 2007, on visait une mise en service en juin 2012.
La promesse d’un lancement cet été, telle qu’elle a été formulée le 27 mars, entérine donc un nouveau retard. En effet, en décembre dernier, EDF misait encore sur un raccordement à la mi-2024. Le nouveau ministre chargé de l’Énergie, Roland Lescure, a relativisé, estimant qu’au vu du retard de douze ans déjà acquis, « on n’est plus à deux semaines près ».
Décision de l’ASN attendue le 20 avril
Ce retard résulte d’un nouveau jalon dans la procédure. Le 27 mars, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a, en effet, ouvert la procédure légale de consultation du public sur son projet d’avis sur la mise en service de ce qui est devenu le réacteur maudit d’EDF.
Le public peut donc, jusqu’au 17 avril, consulter les rapports et documents qui rappellent l’historique du projet, ses divers aléas techniques et les conclusions qui permettent à l’ASN d’envisager un avis positif. L’ASN aura ensuite trois jours pour synthétiser les remarques, les publier et publier sa propre décision.
Ce n’est qu’ensuite, à partir du 20 avril au mieux, qu’EDF pourra procéder au chargement du combustible radioactif dans la cuve du réacteur puis de lancer le processus complexe de sa mise en service. Comme le souligne un observateur, « EDF va faire des tests jusqu’à l’été avant de connecter le réacteur au réseau. On n’est donc pas à l’abri de nouvelles surprises lors de cette phase de test ».
Quid des nouvelles malfaçons et falsifications détectées ?
Pour autant, plusieurs interférences sont survenues en parallèle du processus de consultation. Elles ne sont pas évoquées dans le projet d’avis de l’ASN mais rien ne dit qu’elles ne pourront pas gêner encore le processus de mise en service.
Il y a, d’une part, les défauts constatés en juin 2023 dans la documentation technique fournie par EDF aux équipes d’exploitation, ainsi que des « ratures » trop nombreuses apportées manuellement sur les plans précisant certaines soudures.
Beaucoup plus embêtant est la révélation, ces dernières semaines, de nouveaux cas de fraudes sur des équipements installés sur l’EPR. Le sujet connaît un certain emballement, mais sans que ni l’ASN, ni EDF, ni la justice, ni le gouvernement n’apportent d’éléments précis, les uns et les autres renvoyant au secret de l’instruction.
Des cas non précisés
La première mention de nouveaux cas de fraude, huit ans après le scandale retentissant des dossiers barrés d’Areva-Framatome, a été faite de manière très allusive par l’ASN lors de ses vœux, le 30 janvier dernier. Des cas non précisés de fraudes concernant des équipements sensibles ont, assurait le président de l’ASN, Bernard Doroszczuk, donné lieu à l’ouverture d’instructions judiciaires.
Après un manque de vigilance déjà relevé à l’encontre d’un fournisseur italien en 2023, s’installait alors une petite musique selon laquelle EDF ne parviendrait toujours pas à s’acquitter convenablement de ses obligations de contrôle de ses sous-traitants.
Le 26 février, le PDG d’EDF, Luc Rémont en personne, était auditionné par l’ASN sur ce thème. Puis, après qu’EDF ait, comme cela lui était demandé, transmis, le 19 mars, son « plan d’action détaillé » pour lutter contre les fraudes et malfaçons, l’ASN est revenue à la charge le 26 mars.
Un courrier de l’ASN à EDF au ton sévère
Dans un courrier adressé à EDF, au ton inhabituellement sévère, le gendarme du nucléaire lui demandait de traiter, « avec rigueur » les cas de « contrefaçons, falsifications et fraudes dans les usines de fabrication d’équipements destinés aux centrales nucléaires » qui auraient été « déjà identifiés et ceux qui pourraient être détectés dans le futur ».
Pour la première fois, l’ASN précisait que « récemment, des irrégularités ont été mises en évidence au sein de deux entreprises […] produisant des matériels destinés aux réacteurs nucléaires en fonctionnement ainsi qu’au réacteur EPR de Flamanville ».
Ces cas se distinguent « par le périmètre conséquent de matériels possiblement concernés, ainsi que par les conséquences potentiellement importantes sur la sûreté » des réacteurs d’EDF.
L’ASN relève également que « la surveillance exercée par EDF n’a pas permis de détecter l’ensemble des irrégularités commises par ces deux fournisseurs ». L’un des problèmes a été signalé « par un tiers » et non détecté par EDF, le deuxième ne l’ayant été que « dans le cadre de la préparation d’une inspection de l’ASN ».
La question se pose désormais de savoir si les malfaçons ou falsifications sur des pièces sensibles, susceptibles d’être plus nombreuses, viendront ou non ralentir le nouveau calendrier. Ces révélations interviennent alors qu’on aurait pu s’attendre à ce que la vigilance d’EDF ne soit plus prise en défaut après le scandale de 2016.
Le scandale des défauts cachés de la cuve du réacteur
Comme l’indique le dossier d’instruction de l’ASN, sans en rappeler les circonstances, la première anomalie détectée, en 2014, concernait le couvercle de la cuve du réacteur. Une énorme pièce métallique bombée, devant résister à une pression de 155 bars et à une température de 300°. Elle est très complexe car traversée par les centaines d’éléments qui composent l’assemblage du combustible nucléaire.
En 2014, on avait découvert des défauts dans la qualité de l’acier composant ce couvercle ainsi qu’une pièce équivalente qui forme le fond de la cuve du réacteur. Ce sont ces anomalies qui furent à l’origine de la révélation, en 2016, du scandale des « dossiers barrés » d’Areva (dont les usines concernées ont depuis été reprises par Framatome) : au moins 430 pièces, dont 283 destinées à des équipements nucléaires, comportant des défauts qui furent dissimulés à leurs destinataires.
Si le remplacement du fond de la cuve n’est plus jugé nécessaire, celui du couvercle devra bien être réalisé, et ce dès le premier arrêt du réacteur, environ 18 mois après sa mise en service, et non après dix ans de fonctionnement comme le demandait EDF.
Couvercle, soupapes, cuve…
Le dossier de l’ASN rappelle par ailleurs que d’autres anomalies devront être corrigées, sans fixer de dates : le remplacement de soupapes de protection sur les circuits secondaires et d’échangeurs sur des circuits de refroidissement.
Autre point, qui semble techniquement plus complexe : des modifications à apporter sur la géométrie de la cuve du réacteur. En effet, comme cela a été observé sur les EPR de Taishan (Chine), son défaut de conception provoque des turbulences qui abîment les assemblages de combustibles, provoquant des cassures dans les gaines de combustible et donc des fuites radioactives dans le circuit primaire. La réponse actuelle d’EDF et de son fournisseur, Orano, est de renforcer ces assemblages pour les rendre plus résistants.
Autant d’éléments qui ont déjà abouti à une explosion du coût de l’EPR non encore précisément chiffrée. Si son coût de construction est désormais estimé à 13 milliards (soit quatre fois le montant initial), ce montant ne comprend pas les frais financiers (les emprunts) dont le coût continue de s’alourdir alors qu’il était estimé à 6,7 milliards par la Cour des Comptes à l’époque où l’EPR devait entrer en service mi-2023.