Blast : Quel est l’objet de l’association Ethique en actions ?
Élodie Dievart : L’association a été créée par des salariés d’EDF victimes de harcèlement, après des démarches internes – des signalements – qui n’ont pas abouti. Certaines démarches ont pu conduire à des alertes éthiques (loi Sapin II), et quelques-uns ont été reconnus comme des lanceurs d’alerte. A Éthique en actions, nous accompagnons les salariés tout au long du processus, pour lui donner toutes les clés pour se défendre. Nous souhaitons également mettre en place un suivi psychologique. Quand on se lance dans une telle action, on a besoin d’être épaulé.
Cela signifie-t-il que les problèmes de harcèlement et de discriminations concernent de nombreux salariés d’EDF ?
Oui. De très nombreux salariés sont concernés, du plus petit salarié jusqu’à des cadres dirigeants.
Comment comprenez-vous ce type de management chez EDF ?
Nous nous interrogeons sur l’intérêt d’EDF de manager de cette façon. Une des réponses qui pourrait être faite, c’est qu’EDF cache en fait un plan social, quand on voit que la branche Commerce est passée, sans plan de restructuration, de 12 000 à 7 200 salariés. Pareil, la direction immobilière du groupe est passée de 1 500 à 400 salariés. Il y a des départs en retraite non remplacés, mais EDF pousse aussi des gens à la démission. Tous ces problèmes sont intimement liés au management d’EDF.
Des procédures jamais appliquées
Depuis une vingtaine d’années, EDF se présente comme une entreprise qui favorise la diversité et l’intégration des salariés handicapés. Quelle est la réalité ?
Elle est toute autre. Effectivement, il y a de beaux documents, de belles chartes, de beaux accords, de belles affiches, sauf que dans les faits rien n’est respecté. L’accord handicap en vigueur prévoit des procédures qui ne sont jamais appliquées par les managers. On constate que l’aménagement du poste de travail n’est pas fait, ou alors très tardivement après l’arrivée du salarié en situation de handicap. Il y a d’autres manquements. Selon l’accord, les managers doivent adapter les objectifs des salariés handicapés, ce n’est jamais fait. Ce qui a une conséquence très directe sur leur capacité à obtenir les primes sur objectifs. Il y a aussi des répercussions négatives sur les déroulements de carrière. De plus, l’absentéisme est censé ne pas figurer dans les entretiens annuels de progrès. Ça figure pourtant dedans.
EDF explique-t-elle pourquoi ce texte n’est pas appliqué sur le terrain ?
Non. EDF ne donne jamais d’explication concrète. Même des syndicats sont intervenus en demandant à quoi servait l’accord s’il n’était pas appliqué. Malgré les signalements, malgré les remontées auprès des différentes directions, il n’y jamais eu de changement, ni même d’explication. De plus, le fait que l’accord ne soit pas déployé de façon systématique, comme il devrait l’être, et être porté à la connaissance du salarié empêche des salariés handicapés d’être informés de leurs droits.
Les salariés handicapés sont-ils l’objet de discriminations chez EDF ?
On a constaté des discriminations liées à l’avancement, mais on a aussi relevé des faits plus graves. Le médecin conseil, qui normalement est celui de la sécurité sociale, est en fait un salarié d’EDF. Même chose pour le médecin du travail. C’est problématique. Dans un certain nombre de dossiers de salariés handicapés qui nous sont remontés, on constate un acharnement du médecin conseil contre ces salariés. Il faut savoir que le « présentéisme » est quelque chose de très important pour les managers, puisque leurs primes sont indexés sur la présence de leurs salariés. A la direction Commerce et dans tous les secteurs ouverts à la concurrence, il y a une forme de collusion entre la direction des services, le médecin conseil et quelques fois le médecin du travail. De plus il y a un gros turn-over chez les médecins du travail, notamment chez ceux qui ne rentrent pas le cadre imposé par la direction. Donc des faits assez graves qui peuvent se passer en matière de discriminations, avec des conséquences dramatiques. C’est très pernicieux, parce que la plupart des salariés en situation de handicap sont des gens très volontaires : ils ont envie de prouver des choses. Ils ont des difficultés dans la vie, donc ils sont très motivés. Le travail est aussi souvent leur seul lieu de sociabilisation. C’est parfois très compliqué quand, dans le cadre du travail, on est harcelé, on n’est pas pris en considération, qu’on subit des réflexions par rapport au handicap. C’est très difficile à gérer pour ces salariés. La non-reconnaissance également des efforts qu’ils peuvent fournir. Ils souffrent aussi bien mentalement que physiquement.
Les salariés handicapés ont peur, ces personnes ne parlent pas
A l’association, êtes-vous au courant de suicides ou de tentatives de suicide de travailleurs handicapés discriminés ?
Oui, nous avons eu connaissance de cas. Il y a aussi ceux qui nous ont contactés pour exprimer leur mal-être juste avant de commettre un acte irréparable. Mais ce qui est difficile, c’est que les salariés en situation de handicap ont aussi une peur incroyable de perdre leur travail. Ces personnes sont sociabilisées par le travail et elles ont peur de le perdre, leur source de revenu, donc elles ne parlent pas. On a eu aussi des cas de salariés handicapés placés en invalidité qui ne l’ont pas supporté.
Si vous aviez un message à adresser à Jean-Bernard Lévy, le PDG d’EDF, que souhaiteriez-vous lui dire ?
J’aurais envie de lui dire que le fait d’avoir des salariés en situation de handicap est une force, et pas une faiblesse. Un salarié en situation de handicap, et 80 % des handicaps sont invisibles, a besoin comme tous les autres salariés d’être intéressé et motivé. Il nécessite de l’attention au niveau de sa santé. Mais les conditions de travail dans lesquelles les salariés handicapés évoluent sont inhumaines. Que des salariés n’aient pas des postes de travail adaptés, que leurs objectifs ne tiennent pas compte de leur handicap, qu’ils soient sanctionnés en raison de leur absentéisme ou de leur pathologie… Il faut que les choses changent. C’est inhumain. Et aux salariés en situation de handicap, j’aimerais dire qu’ils ne sont pas seuls, et qu’ils ne doivent pas hésiter à parler. Et faites vous accompagner dans les démarches.
Il faut que ça cesse
L’association envisage-t-elle des recours juridiques ?
Oui. On envisage des recours groupés. Une fois que toutes les procédures internes de signalement auront été suivies, on envisage une action collective. Il faut que ça cesse. Il faut que le droit du travail soit appliqué, que l’accord handicap soit lui-même appliqué. Dans les faits, il n’y a pas de déploiement, de formation des managers. Il y a une méconnaissance réelle de tous les types de handicap. Revoir le statut du médecin conseil. On ne peut pas être juge et partie en même temps. On ne peut pas être à la fois employé d’EDF et juger de l’état de santé d’un salarié en toute impartialité. On voit bien que pour les salariés, ce n’est pas du tout bénéfique. Et puis la discrimination du handicap, comme toute autre forme de discrimination, c’est quelque chose de délictueux. Il ne faut pas que ça continue en toute impunité.
Propos recueillis par Thierry Gadault
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n’est ce pas une forme d’équité que de harceler également les salariés handicapés ?
Si ca fait partie des méthodes de « mangement », pourquoi ne seraient-elles pas appliquer quelque soit la situation du salarié ?
qui vole un oeuf vole un boeuf … c’est pas les 2 rats ethiques qui empecheraient ça ?
concernant l’asn, puisse t’on imaginer un parallèle avec la médecine du travail et conseil des centrales nucléaires ?
les éléments s’accumulent et apportent la réponse.
Ne faut il pas être profondément dérangé pour se comporter ainsi ? Qu’est ce qui peut motivers des individus à se perdre à ce point et penser qu’ils exisent aux travers de fonctions ou d’une pseudo reconnaissance qu’ils n’ont d’ailleurs pas ? les sous (fifre)
la situation se limite t’elle aux travailleurs ayant une reconnaissance de leurs handicaps ? Visiblement les épisodes précédents prouvent que non !
Il semblerait que ces pratiques de mise à l’écart, de harcèlement, de mépris etc s’appliquent bien souvent aux salariés quiont de l’autonomie et une certaine indépendance ?
un système qui tolère, accepte et encourage ces pratiques devra assumer et vivre avec les conséquences liés aux accidents humains et industriels qui inexorablement découleront de ces pratiques.