Le système électrique français est particulièrement tendu en ce début d’hiver. Le responsable ? Un mélange de facteurs conjoncturels difficilement prévisibles et de manquements politiques plus structurels.
Par Matthieu JublinCoupera ou coupera pas ? Pas un hiver ne s’est passé, ces dernières années, sans que ne soit évoqué le risque – plus ou moins avéré – de subir des coupures d’électricité. Une peur récurrente souvent peu fondée, mais qui repose sur un problème connu : le système électrique français manque de marges de production pour répondre à la pointe de consommation hivernale.
L’épisode 2022-2023 de cette inquiétude saisonnière est cependant bien différent. Le niveau de risque est en effet monté d’un cran, notamment depuis novembre, quand le gestionnaire du réseau de transport d’électricité RTE a affirmé que « le mois de janvier concentre davantage de risques » que dans ses précédentes estimations.
Pas de quoi paniquer pour autant : les éventuelles coupures de janvier 2023 prendraient au pire la forme de délestages tournants de deux heures, plus ou moins nombreux suivant les scénarios. Surtout, ils restent évitables si le pays mobilise ses leviers à disposition pour maîtriser la demande, à l’image du dispositif Ecowatt ou des marchés d’effacement de consommation pour les entreprises. D’autant plus que RTE a fait état, début décembre, d’une baisse de près de 10 % de la consommation par rapport à la moyenne 2014-2019.
Il n’empêche, tout incertains et évitables qu’ils soient, ces risques de coupures créent l’inquiétude. Et font monter interrogations et accusations quant aux responsables de ces tensions sur le système électrique français, qui a longtemps fait l’objet d’une fierté nationale. A qui la faute ? Aux anti-nucléaire ? Aux pro-nucléaire ? A EDF ? A Vladimir Poutine ? La réponse décevra les partisans des avis tranchés et des certitudes définitives, car il n’existe pas de coupable unique, mais des responsabilités complexes et partagées. Tour d’horizon des causes, des plus conjoncturelles – donc difficilement prévisibles – aux plus structurelles – donc politiques.
1/ La faute à la météo ? Oui mais non.
Oui, l’hiver influe sur les risques d’approvisionnement en électricité. Le système électrique français est très sensible au froid à cause du poids du chauffage électrique – on y reviendra. Conséquence : la pointe de consommation intervient toujours en hiver, généralement en fin de journée. Pour chaque degré en moins, l’appel de puissance supplémentaire est d’environ 2,4 gigawatts (GW), soit deux réacteurs nucléaires, selon RTE.
Illustration. Dans son scénario intermédiaire, le gestionnaire du réseau estime qu’en cas d’hiver doux, le nombre d’activations d’Ecowatt – le système d’alerte – serait de zéro, mais passerait à trois voire six en cas d’hiver très froid, comme celui de 2010-2011. Mais le système électrique avait, à l’époque, tenu le coup. Il serait donc malhonnête de faire porter le chapeau des difficultés actuelles à la seule météo.
2/ La faute à la guerre en Ukraine ? Pas pour l’instant.
Parmi les causes avancées pour expliquer les difficultés actuelles, la guerre en Ukraine figure souvent en bonne place. Certes, l’invasion provoquée par Vladimir Poutine a créé de fortes tensions sur l’approvisionnement en gaz. Or, celui-ci sert à produire de l’électricité, à la fois en France (il représente 6,3 % de notre mix électrique en 2021), mais surtout dans les pays frontaliers… à qui la France achète des électrons.
L’Hexagone manque-t-il d’électricité parce que ses voisins manquent de gaz ? Non.
« Ces tensions sur le gaz sont un facteur d’incertitude mais il n’y a aucun effet sur les quantités exportées pour le moment », indique Nicolas Goldberg, expert en énergie chez Colombus Consulting.
En effet, « notre principal pourvoyeur d’électricité pour l’hiver, l’Allemagne, est pour l’instant plutôt bien loti sur le gaz, car sa consommation domestique de gaz a énormément baissé », complète Andreas Rüdinger, coordinateur sur la transition énergétique à l’Iddri.
Bref, le prix du gaz a explosé – tirant celui de l’électricité –, mais l’Europe ne connaîtra pas de pénuries cet hiver car elle a consenti à remplir ses réserves ces derniers mois en raison du contexte très incertain.
3/ La faute au Covid ? Un peu.
Les trois quarts de la production d’électricité française étant d’origine nucléaire, le manque actuel de marges vient notamment de la très faible disponibilité des réacteurs à l’approche de l’hiver. Et ce manque de disponibilité est en partie lié à l’épidémie de Covid-19, qui a engendré de nombreux retards dans le lourd programme de maintenance du parc nucléaire.
En effet, pour prolonger la durée de vie de ses centrales au-delà de 40 ans et s’aligner sur les meilleurs standards de sécurité, EDF conduit depuis 2014 le « grand carénage », petit nom donné à des travaux pharaoniques qui conduisent chaque réacteur à être indisponible pendant plusieurs mois. A cause du Covid-19, de nombreux chantiers prévus en 2020 ont donc été reportés à 2021 et 2022, des années déjà chargées en travaux de maintenance, qu’ils soient liés au grand carénage ou à d’autres missions, comme des rechargements de combustible.
4/ La faute à EDF ? Un peu aussi.
Si le parc nucléaire est autant à la peine, ce n’est pas seulement la faute d’un virus, mais aussi à la découverte de problèmes de corrosion touchant 15 réacteurs sur 56, dont les plus récents et plus puissants du parc.
Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Bernard Doroszczuk, expliquait ainsi en mai dernier devant des parlementaires que la « cause prépondérante » de cette corrosion serait, non pas le vieillissement du matériel, mais un changement de design des tuyaux par rapport au modèle original développé par l’américain Westinghouse.
Autre dossier qui relève de la responsabilité d’EDF : le retard dans le chantier de l’EPR de Flamanville, qui aurait dû être terminé en 2012 et coûter moins de 4 milliards d’euros. Cette « tête de série » aurait dû être suivie, à partir de 2020, d’autres réacteurs du même type. Onze ans et 9 milliards d’euros de dépassement de coûts plus tard, il n’est toujours pas en service. Un rapport, remis par Jean-Martin Folz en 2019, a pointé le rôle d’EDF dans cet échec, en évoquant les estimations « au mieux irréalistes » de l’énergéticien et sa « gouvernance inappropriée » du chantier.
Faut-il voir dans ces déboires d’EDF l’effet d’une perte de compétence dont l’entreprise s’est rendue responsable ? La question est complexe et concerne l’ensemble de la filière électronucléaire, qui a peiné pendant des années à attirer des candidats dans ses formations, même si elle s’est depuis coordonnée pour recruter les nombreux soudeurs ou chaudronniers manquants.
5/ La faute aux anti-nucléaire ou aux anti-renouvelable ? Un peu les deux.
Pour de nombreux partisans de l’atome, les problèmes de la filière nucléaire française – son manque de perspectives claires et son déficit d’attractivité – sont en partie liés à l’action des militants anti-nucléaire, qui ont retardé la décision politique de lancer de nouveaux chantiers de réacteurs.
A l’inverse, pour beaucoup d’anti-nucléaire, le retard pris dans le déploiement des énergies renouvelables et les économies d’énergie est en partie lié à cet attachement au nucléaire.
Ce débat s’est souvent hystérisé entre deux camps qui semblent irréconciliables. Une chose est sûre, la question du manque de marges du réseau est d’origine politique, car elle est liée à la planification du système électrique sur le temps long. Alors, des erreurs, voire des fautes, ont-elles été commises ?
« On peut parler de faute politique de l’Etat concernant la faiblesse des marges, mais il y a différentes manières de la raconter, et chaque camp déploie son storytelling », analyse Andreas Rüdinger. « Si l’on veut jouer au jeu de la chasse aux sorcières, le principal fautif est la construction politique ultra-polarisée de cette controverse, qui a pris la forme d’un choix entre deux options exclusives : tout nucléaire ou pas de nucléaire du tout. »
Certaines responsabilités peuvent toutefois être identifiées. Exemple le plus polémique : l’arrêt de la centrale de Fessenheim, qui a fait l’objet d’un accord politique entre socialistes et écologistes en 2011, les seconds jugeant trop problématiques la dépendance à l’atome, le vieillissement des centrales et la question des déchets nucléaires.
Certes, Fessenheim ne représente qu’un dixième des capacités nucléaires indisponibles aujourd’hui, mais sa fermeture n’est « pas liée à l’origine à un problème de sûreté », rappelle Nicolas Goldberg. Plus globalement, ce dernier estime que « le discours anti-nucléaire a longtemps affirmé qu’on aurait besoin de moins d’électricité, alors qu’il y a aujourd’hui consensus sur le fait que les besoins vont augmenter ou stagner », du fait de l’électrification de multiples usages actuellement dépendants des énergies fossiles.
L’autre côté du spectre n’est pas exempt de critiques. « Peu de gouvernements français depuis vingt ans ont assumé un portage politique des renouvelables », soulève Andreas Rüdinger. Celles-ci contribuent pourtant à la sécurité d’approvisionnement électrique, comme le répète RTE depuis plusieurs années. L’éolien s’ajoute en effet à la base de production électrique et permet aujourd’hui de réduire les besoins d’importations d’électricité carbonée de nos voisins européens, rappelle l’organisme. Tandis que la production solaire – même faible – permet en journée d’économiser l’eau des barrages hydroélectriques avant le pic de consommation du soir.
« L’erreur de raisonnement a été de penser que, parce qu’on avait déjà une électricité décarbonée, on n’aurait pas besoin de renouvelables, résume Nicolas Goldberg. Sauf qu’on a refusé de voir que le parc nucléaire avait une fin et que, même en développant à fond de nouveaux EPR, on aurait besoin de plus de renouvelables le temps qu’ils soient construits. »
Reste une question cruciale : à quel point aurait-il fallu construire plus de centrales nucléaires ou de capacités de production renouvelables pour sécuriser l’approvisionnement ? La réponse est plus complexe qu’il n’y paraît, car il est impossible économiquement de construire à tout va : pour être rentables, des moyens de production de base comme le nucléaire et les renouvelables doivent être utilisés à leur maximum, pas seulement en cas de crise1.
A l’heure actuelle, la France a les capacités d’absorber plus d’énergies renouvelables, qui présentent des coûts peu élevés et restent peu déployées. Mais construire de nouvelles centrales nucléaires il y a dix ou vingt ans aurait nécessité des milliards d’euros d’investissement pour un usage trop limité.
« A l’époque où la France était structurellement exportatrice d’électricité2, EDF n’aurait de toute façon pas voulu construire d’autres réacteurs car ce n’était pas rentable économiquement », souligne Andreas Rüdinger.
Bref, sans débouchés, pas de nouvelles capacités de production de base possibles, sauf à payer un prix exorbitant.
6/ La faute au manque de sobriété et d’efficacité énergétique ? Oui.
Le souci de rentabilité des surcapacités nucléaires ou renouvelables est exacerbé par un problème structurel du réseau électrique français : sa sensibilité au froid. Difficile de rentabiliser de nouveaux moyens de production de base quand la pointe électrique hivernale est deux fois supérieure à la pointe électrique estivale.
« Le développement du chauffage électrique en France a été une manière de donner une raison d’être à un parc nucléaire un peu surdimensionné mais, ce faisant, on a créé nous-mêmes notre propre volatilité de la demande d’électricité », note Andreas Rüdinger. Etre si dépendant de l’électricité pour le chauffage implique donc d’avoir besoin de moyens de production de pointe qui ne sont là que pour ça. »
Au-delà du problème de la source énergétique du chauffage, il aurait été possible d’agir sur la demande d’électricité via l’efficacité énergétique. Celle-ci permet en effet de diminuer drastiquement les besoins de chauffage électrique à l’origine de la pointe de consommation hivernale. Et ce, avec des solutions connues de longue date : d’abord isoler les logements, ensuite déployer des chauffages électriques moins énergivores – notamment des pompes à chaleur – et, enfin, mieux piloter le chauffage pour pouvoir le répartir autour des pointes de consommation.
« Les objectifs du Grenelle de l’environnement de 2007 en matière d’isolation des bâtiments étaient drastiques, et on en est très loin aujourd’hui », déplore Nicolas Goldberg3. « On aurait pu assouplir les pointes de consommation de cette manière, tout comme on aurait pu sauvegarder des marges de production en terminant l’EPR de Flamanville à temps, en ne fermant pas Fessenheim et en développant les renouvelables », conclut-il.
Vouloir prévenir tout risque de coupure d’électricité tout en conservant un système peu coûteux et décarboné revient donc presque à chercher la quadrature du cercle. Si des erreurs ont été commises en la matière, il est illusoire de chercher un seul responsable.
Source : Risques de coupures d’électricité : à qui la faute ?
et maintenant les stars qui étaient aux commandes (pdg) des fameuses entreprises (production élec/gaz) qui vont expliquer partout où c’est possible qu’elles sont « victimes » de la situation et blabla …
c’est ça alors PDG d’une entreprise ? (ramasser des gros salaires pour appliquer une feuille de route aussi délirante soit elle ?)
bravo