Nous avons lu sur le site de l’INPES SANTE.FR cette enquête très intéressante sur la perception que se font les salariés face aux risques professionnels qu’ils rencontrent aux quotidiens…
- Comment les travailleurs se comportent-ils face aux risques professionnels ?
- Dans quelles conditions se voient-ils reconnaître une pathologie professionnelle ?
Un groupe de chercheurs – médecin et socio-anthropologues – a interrogé cent actifs exerçant dans des secteurs comportant des risques professionnels (automobile, nucléaire et industrie pharmaceutique).
Il en ressort notamment que l’individualisation des tâches fragilise la prévention et la protection de la santé au travail.
Extraits de presse ( page 8 à 11):
Ces entretiens nous ont permis de dresser le constat suivant :
• Les relations entre les travailleurs permanents et précaires sont le plus souvent difficiles : l’intensification du travail, le turn-over des intérimaires participent de la dissolution des
anciennes identités collectives et des savoirs relatifs à la protection de la santé.
La précarisation des collectifs de travail empêche, par exemple, la transmission des savoir-faire et des savoirs concernant les conduites de prudence au travail.
Les manquements à la sécurité et au bon fonctionnement des procédures de protection de l’intégrité physique des salariés sont aussi renforcés et entretenus par une individualisation
massive et croissante des tâches qui découle de la dissolution des collectifs de travail.
Cela engendre des modes d’adaptabilité et de mobilité très rapides qui placent au second plan la nécessité de protéger la santé des salariés ;
• Les salariés sous contrats précaires développent des pratiques zélées dans leur travail, qui renvoient à leur expérience de la précarité : l’individualisation des situations, associée à la peur du lendemain, engendre des rapports concurrentiels entre les ouvriers qui ne
peuvent que les fragiliser davantage ; ceci a pour conséquence une acceptation des conditions de travail, pourvu que cela n’empiète pas sur leur statut, leurs acquis, leur position ;
• Cette censure des risques qui renvoie à un déni de la réalité est renforcée par l’inexistence et l’incohérence des formations et des informations relatives aux mesures d’hygiène et de sécurité les plus élémentaires dans la très grande majorité des usines dans lesquelles travaillaient les actifs que nous avons interrogés.
Les entretiens montrent que des mesures de prévention ont été mises en place mais qu’elles sont rendues inopérantes par les impératifs de production qui exigent rapidité et qualité totale, et qui propulsent les travailleurs au sein de parcours professionnels où la mise en péril de la santé semble très difficilement évitable à moins de perdre son emploi, d’être stigmatisé ;
• Les mécanismes de protection des travailleurs paraissent, selon les propos recueillis, encastrés dans des processus de production qui rationalisent si fortement l’organisation du travail et la prévention des risques inscrits dans les tâches effectuées, qu’elle finit par
engendrer une dénégation des risques au point d’en arriver à ce que Ivan Illich appelait un effet contre-productif propre aux institutions modernes, un outil non convivial.
C’est ainsi que nous avons pu observer que, même lorsque les ouvriers ont des protections individuelles à disposition, ils ne s’en servent pas ou, s’ils y recourent, c’est selon une
représentation du danger disparate d’un salarié à l’autre.
Servitude volontaire !!!
Nos entretiens tendent par ailleurs à montrer qu’il existe parfois un consensus sous la forme d’une sorte d’acceptation de la situation, de consentement, de servitude volontaire, qui se structure autour de trajectoires spécifiques. Ces éléments nous conduisent à dépasser une approche trop réductrice qui aurait tendance à restreindre le champ des problèmes et de l’analyse à deux catégories d’individus : les exploitants/ donneurs d’ordres et les exécutants/ salariés. Car même si l’analyse qualitative permet d’accéder à des éléments de compréhension sur les manquements à la protection de la part des salariés, et pour reprendre l’analyse de Jean-Pierre Legoff (3), nous émettons l’hypothèse qu’en deçà des coûts supportés et subis par la victime de risques professionnels encourus, cette dernière retire des bénéfices secondaires à travailler au sein d’une entreprise à risque qui font que la victime n’est pas qu’une victime et que les donneurs d’ordre ne sont pas que des donneurs d’ordre, mais qu’il existe tout un consensus qui fait qu’une industrie à risque peut fonctionner dans les formes actuelles de production similaires à celles que Françoise Zonabend avait évoquées dès 1989 (4).
Autrement dit, travailler, avec les risques nucléaires par exemple, peut faire émerger des formes de virilité au travail, synonymes de prises de risque capables de redonner du sens et une certaine position sociale, pour des personnes confrontées quotidiennement à des travaux à risque ou à des organisations du travail pathogènes.
On retrouve alors ce que Frédérick Lemarchand (5) appelle une défiance active qui regroupe les stratégies d’évitement et de refus d’affronter la réalité.
Cela aboutit souvent à la production d’un bouc émissaire et/ou au déni du danger (par exemple si l’amiante était dangereuse pour ma santé, je le sentirais).
Cette attitude vise à reconstruire une réalité acceptable des risques en déconstruisant une situation jugée inacceptable.
Travailler avec des risques peut ainsi devenir une occasion de réintroduire de la culture de métier autour d’un risque dénié et ainsi rendre possible la construction de valeurs salariales, là où la culture d’entreprise et la société dans son ensemble tendent à effacer ces dernières.C’est d’ailleurs ce qu’Yves Dupont décelait lorsqu’il évoquait les rituels de forfanterie chez certains individus exposés aux risques
Des inégalités très fortes
Cependant, même si le tissu associatif reste le support principal de la reconnaissance
des maladies professionnelles, aussi bien pour les industries nucléaires, de l’amiante ou de la production pharmaceutique, les entretiens montrent d’une manière plus globale
une difficulté abyssale à penser le travail, les risques qui y sont rattachés et les solutions concrètes pour protéger la vie de ceux qui exécutent tous les jours les tâches à risques. Le déni du risque est une réalité, y compris du côté de l’actif.
Sandrine Sabre / Cédric Suriré Socio-anthropologues,
Centre d’étude et de recherche sur les risques et les vulnérabilités, université de Caen, Basse-Normandie
Lire l’article : http://www.inpes.sante.fr/SLH/pdf/sante-homme-408.pdf
Ainsi va la vie dans notre pays où les colères et injustices qui existent, demeurent bien profondément enfouies devant nos dirigeants. Jusqu’à quand ?
Et vous qu’en pensez vous ?
(Ici nous respectons la loi sur les droits d’auteur et le travail de la presse et des journalistes professionnels)