Le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) a reculé pour le deuxième semestre consécutif : il a baissé de 0,2 point pour s’établir à 9,3 % en métropole et à 9,7 % avec les départements d’outre-mer, a indiqué l’Insee jeudi 2 septembre. Alors que la ministre de l’économie, Christine Lagarde, se félicite de « l’amorce progressive d’un cercle vertueux lié au retour de la croissance », l’examen des chiffres appelle à une analyse plus mesurée.
Pour Eric Heyer, directeur adjoint au département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), la définition très stricte du chômage selon le BIT exclut un nombre important de chômeurs de ces chiffres officiels. « Ces statistiques sont bonnes, il faut juste savoir ce qu’elles racontent », explique-t-il.
La situation de l’emploi s’est-elle vraiment améliorée au vu des chiffres du BIT ?
Si on essaye d’avoir une évaluation du marché via les chiffres du BIT, on peut dire que ça s’améliore par rapport au trimestre précédent. On reste toutefois à des niveaux très élevés de taux de chômage – au dessus de 9 %, c’est quand même un chômage de masse –, au-dessus du niveau de l’an dernier. C’est donc une amélioration toute relative.
Et il faut savoir que la définition du chômage au sens du BIT est relativement stricte. A partir du moment où vous avez travaillé ne serait-ce qu’une heure au cours du mois, vous n’êtes plus considéré comme chômeur. Cela enlève donc toute une partie des travailleurs qui a un tout petit peu travaillé mais cherche toujours un emploi. Et on sait qu’en période de crise, il y a beaucoup de petits boulots, avec des contrats d’une semaine, d’une journée. Ces personnes-là sont donc exclues des statistiques du BIT.
Bien sûr, c’est mieux que le chômage baisse légèrement, mais il ne faut pas crier victoire pour autant. Si on prend une définition plus large du chômage, celui-ci continue d’augmenter.
Communiquer sur ces chiffres-là, n’est-ce pas occulter la réalité du marché ?
Oui et non. La définition du BIT est utilisée dans tous les pays. Donc si vous voulez faire des comparaisons internationales, il faut bien avoir une définition et une méthodologie communes. Mais si vous voulez vous intéresser plus particulièrement à la France, ça ne suffit pas. Il faut entrer dans le détail : est-ce que ça baisse dans toutes les catégories, est-ce que ce qu’on appelle le halo du chômage, c’est-à-dire les personnes non chômeuses au sens du BIT mais qui sont tout de même à la recherche d’un emploi, augmente ou non…
Et si on entre dans ce détail, on voit que le chômage continue d’augmenter. La situation de ces personnes s’est peut-être légèrement améliorée car elles ont travaillé quelques jours, ou quelques semaines, mais elles sont toujours à la recherche d’un emploi.
Ne faudrait-il pas revoir ces outils statistiques ?
Il ne faut pas revoir les outils, mais le commentaire qu’on en fait. On a tous les outils pour faire un commentaire exhaustif de la situation. Mais si vous vous limitez à une catégorie, ou une définition, vous avez une vision restreinte. Ces statistiques sont bonnes, il faut juste savoir ce qu’elles racontent. Là, un chômeur au sens du BIT, c’est quelqu’un qui recherche activement un emploi, qui n’a pas travaillé pendant le mois, et qui est immédiatement disponible.
En France, vous avez beaucoup de personnes à la recherche d’un emploi, mais non immédiatement disponibles, car on sort ces chômeurs en leur faisant faire des petites formations ou des stages. Ils n’entrent donc plus dans la définition du BIT.
Autre point, les défections. Beaucoup de personnes sont découragées avec un chômage aussi élevé, et ne recherchent pas un emploi. Or il faut prouver aux enquêteurs du BIT que l’on cherche un emploi activement, en démontrant ses démarches. Répondre « je suis inscrit chez Pôle emploi » ne suffit pas pour être considéré comme chômeur pour le BIT. Bref, dire qu’en France il n’y a que 2,6 millions de chômeurs comme le dit le BIT, c’est faux. Il y en a beaucoup plus.
Le nombre de ces personnes au chômage mais qui ne se sont pas inscrites à Pôle emploi est très difficile à mesurer. Mais globalement, on sait que quand vous avez 100 destructions d’emplois, vous n’avez pas 100 chômeurs supplémentaires, mais 80. 20 % sont découragés et n’iront pas s’inscrire au chômage. C’est une élasticité observée sur ces dernières années.
Une autre étude de l’Insee montre que la part des personnes en CDI sur le marché de l’emploi est passée sous la barre des 50 %. Le CDD devient-il la norme ?
A l’heure actuelle, deux tiers des contrats signés sont des CDD de moins d’un mois. Ainsi, au cours du deuxième trimestre, il y a eu 4 885 000 contrats signés, dont 791 000 CDI, soit 16 %. Il y a donc 84 % de CDD, dont 62 % de CDD de moins d’un mois. C’est une tendance que l’on voit nettement dans les statistiques.
Quelles sont vos perspectives pour l’évolution du taux de chômage ?
Ce qui fait beaucoup pour le chômage et l’emploi, c’est la croissance. On est donc suspendu à ce qu’il va se passer. Il me semble qu’on est dans une période un peu charnière. La phase des plans de relance, qui avait pour but de mettre les économies sous perfusion afin de limiter l’ampleur de la récession, est terminée. Maintenant, toute la question est de savoir si les économies sont capables de croître sans la perfusion de l’Etat, et si elles peuvent supporter une cure d’austérité.
Pour moi, oui, il y a une croissance autonome qui semble naître, mais, non, elle n’est pas assez forte pour résister à une cure d’austérité. Si on se contente d’arrêter les plans de relance, ça peut passer, si on va encore plus loin avec un plan de rigueur, alors la croissance sera très molle dans les trimestres à venir, ce qui ne permettra pas à l’économie de créer suffisamment d’emplois pour faire baisser le chômage.
Si je me fie à la promesse du gouvernement envers Bruxelles de réduire drastiquement les déficits, je pense que la politique économique en 2011, 2012, 2013 sera restrictive, et donc l’économie va connaître une croissance très molle, et le chômage restera élevé. Après, il est possible que le gouvernement ne respecte pas ses engagements, auquel cas la croissance pourra être un poil plus dynamique, et le chômage pourra peut-être diminuer. Tout dépend si on croit ou non les promesses du gouvernement.