Effet inattendu de la crise, les accidents du travail sont en baisse. Les maladies professionnelles, elles, augmentent en dépit de la conjoncture. Décryptage avec Bernard Salengro, secrétaire confédéral CFE-CGC et médecin du travail.
Le dernier rapport de la branche « risques professionnels » de l’assurance-maladie montre une nette amélioration sur le front des accidents du travail. Le taux a chuté à un niveau inédit de 36 pour mille salariés. Comment expliquer cette baisse historique ?
Bernard Salengro : On pourrait se dire que c’est une bonne nouvelle. Malheureusement, c’est un leurre : la cause majeure en est la désindustrialisation, qui s’amplifie considérablement. Pour des raisons économiques pas toujours évidentes, d’ailleurs – et nombre de délégués syndicaux qui racontent dans quel contexte se font les plans de sauvegarde de l’emploi ont l’impression que l’ambiance de crise sert surtout de prétexte. La conséquence directe de ce tsunami de désindustrialisation, c’est que près de trois salariés sur quatre travaillent aujourd’hui, non plus dans l’industrie, mais dans des bureaux. Avec donc, forcément, moins d’accidents… En prime, lorsqu’on parle de baisse, il faut tenir compte du phénomène de sous-déclaration : beaucoup de salariés ne déclarent pas de « petits » accidents du travail, car ils n’y ont pas intérêt. Ils seront tout aussi bien remboursés s’ils ont une bonne mutuelle, avec une procédure moins lourde.
TF1 News : Mais n’y a-t-il pas des améliorations sur les chantiers, dans les usines ?
B.S. : Si, tout de même : il y a des améliorations physiques, des protections individuelles qu’on ne voyait pas il y a quelques années, des machines nouvelles pourvues de sécurités intégrées. Mais avec, en parallèle, une pression à la production qui s’accroît tellement, que les salariés vont fréquemment débloquer les protections de leurs machines pour pouvoir répondre à cette exigence de rythme… D’ailleurs, quand on regarde finement les taux d’accidents du travail par branche socio-professionnelle, le tableau est beaucoup moins rose et on s’aperçoit qu’il y a beaucoup de progrès à faire.
TF1 News : Les maladies professionnelles, pour leur part, connaissent une progression constante. Pourquoi ce décalage ?
B.S. : Pour la même raison : une pression à la production qui devient considérable. Et dans ce cas, la désindustrialisation ne joue pas. Un indice particulièrement révélateur : l’explosion du nombre de cas de troubles musculo-squelettiques. Certes, ils sont dus à des contraintes mécaniques, au fait que les articulations sont utilisées à des fréquences et avec une force auxquelles le corps ne peut s’adapter. Mais ils sont aussi un bon indicateur de stress : ils se développent particulièrement dans un contexte de pression, d’anxiété, de non-reconnaissance au travail… de stress, tout simplement. Or, sur cette question du stress, malgré la signature d’un accord par les partenaires sociaux en juillet 2008, rien n’a changé sur le terrain.
TF1 News : N’y a-t-il pas eu des efforts en matière de prévention ?
B.S. : Les acteurs de la prévention, les « préventeurs » (médecins du travail, ergonomes, agents de la sécurité sociale…), s’ils sont nombreux sur le terrain, ont les mains liées. Prenons l’exemple des inspecteurs du travail : ils sont chargés de faire la police en matière de risques professionnels, mais on leur donne un sabre de bois. Ce qu’ils disent reste systématiquement lettre morte. Il y a de quoi décourager les meilleurs. La sécurité sociale manque d’une politique dynamique sur ce plan-là. Ce qui paraît assez illogique : lorsqu’un assureur privé voit ses coûts exploser dans tel ou tel domaine, il va évidemment essayer de prévenir les risques, engager une politique de prévention. Mais pas la sécurité sociale… Le problème vient de son mode même de gestion : une gestion paritaire… mais avec une prééminence patronale, sinon en termes de voix, du moins en termes d’influence. Et actuellement, les patrons ont le vent en poupe et imposent leurs idées. Voilà pourquoi la sécurité sociale fonctionne, non pas selon une logique d’assurance, mais selon une logique de mutualisation des risques qui profite pleinement aux entreprises cumulant le plus de risques d’accidents du travail et de maladies socio-professionnelles. Une logique qui conduit à faire porter par le tertiaire le coût des risques de l’industrie.