Dans un récent rapport, le Conseil économique, social et environnemental, pointe les effets négatifs du travail de nuit sur la santé. Un mode d’organisation auquel les employeurs ont, semble-t-il, de plus en plus recours, sans toujours prendre en compte les conséquences sur l’équilibre physiologique des salariés.
Cinq heures du matin, la nuit noire, François est déjà à son poste. Voilà plus de trente ans que ce technicien employé chez Arcelor enchaîne les semaines de travail « atypiques ». Tantôt du matin (de 5 à 13 heures), tantôt de l’après-midi (de 13 à 21 heures), tantôt de nuit (de 21 heures à 5 heures). Un emploi du temps auquel ce quinqua s’est fait, bon gré malgré, en dépit des coups de fatigue, des pics de somnolence et des repas décalés…
Ce mode de vie qui concernerait entre 20 et 25% de la population active en France, n’est cependant pas sans risques sur la santé. Les études scientifiques le prouvent : le travail en horaires atypiques désynchronise les rythmes biologiques, le comportement alimentaire et social, ce qui provoque troubles fonctionnels et pathologies variées : somnolence, insomnies, troubles de l’humeur, dépression, baisse des défenses immunitaires, perturbations digestives, surpoids risques cardiovasculaires, voire cancers.
Ce cortège de troubles est d’autant plus problématique qu’il peut enclencher la spirale de l’addiction au tabac, à l’alcool et aux substances psycho-actives, pour « tenir le coup ». Un rapport du Conseil économique, social et environnemental qui vient d’être rendu public confirme les répercussions négatives du travail de nuit sur les conditions de travail et de vie des salariés. Même constat présenté lors du dernier congrès de médecine et de santé au travail de Toulouse, en juin dernier. Une étude réalisée sur un échantillon de 4782 salariés de l’industrie métallurgique a établi un lien entre la prise de poids et la morbidité inhérente, en relation avec l’ancienneté des travailleurs postés. « Le manque de sommeil et la désorganisation des habitudes alimentaires sont les deux problèmes majeurs du travail en horaires décalés, explique le Docteur Eric Mullens, spécialiste de la question au laboratoire du sommeil d’Albi. Les salariés concernés commettent souvent l’erreur de sauter des repas ou de négliger la sieste, indispensable pour compenser la privation de sommeil. Ce qui est d’autant plus problématique qu’ils sont de plus en plus soumis à des rythmes de travail anarchiques et peu conseillés en matière d’hygiène de vie », explique ce spécialiste du sommeil.
Des risques pour l’entreprise
Le travail en horaires atypiques n’est pas seulement problématique pour la santé des individus. Il impacte la responsabilité de l’employeur et la performance même de l’entreprise. Les troubles qui liés à ce mode d’organisation du travail réduisent en effet la vigilance, la performance et augmentent la probabilité d’erreurs et d’accidents sur le lieu de travail. On se souvient du drame de la centrale nucléaire de Three Miles Island, survenu la nuit.
« Peu d’employeurs et de médecins du travail ont conscience de ces risques et, d’une façon générale, de la problématique du travail en horaires atypiques », déplore le Dr Mullens. Les employeurs devraient pourtant se préoccuper du bien-être de leurs salariés. Leur efficacité en dépend !
Au Canada par exemple, les entreprises ont compris l’intérêt de veiller à l’équilibre nutritionnel et physiologique de leurs collaborateurs pour améliorer leur attention et réduire le stress. Ce qui est loin d’être le cas dans l’Hexagone…
Le rapport du CESE est formel : « La pénibilité du travail de nuit reste insuffisamment prise en compte dans l’organisation du travail. » Un problème d’autant plus préoccupant que, selon les auteurs du rapport, le travail de nuit devrait rester exceptionnel, comme le prévoit le Code du Travail. Or, la proportion des salariés travaillant de nuit ne cesse d’augmenter (1 sur 5 aujourd’hui est concerné).
Remettre à plat l’organisation du travail
Il existe pourtant des moyens simples d’améliorer l’hygiène de vie des salariés travaillant en horaires atypiques. Le Docteur Eric Mullens conseille aux employeurs quatre principes de base. Le premier : éviter la multiplication des rythmes différents. Le second : si cela est possible, prévoir des postes « uniques » (uniquement la nuit, le matin ou l’après-midi). Le troisième : en cas de rotations, les aménager dans le sens horaire (matin, après-midi puis nuit). Enfin, s’assurer que les rotations sont brèves (2 à 3 jours), compensées par des temps de repos équivalents. Toutes ces préconisations peuvent être relayées par les médecins du travail, à l’interface entre la Direction et les salariés. Certaines entreprises se sont attelées à la modification des horaires de travail. Dans le secteur de la propreté par exemple, la Fédération des entreprises de propreté (FEP) a réfléchi à l’organisation du travail en journée, afin que les salariés interviennent pendant les horaires « normaux », comme cela se fait dans les pays scandinaves. Ainsi, une expérience pilote a-t-elle été menée sous l’égide du Syndicat des entrepreneurs de nettoyage de la région ouest (SENRO). Autre initiative remarquée dans le cadre du rapport du CESE : celle menée dans un établissement hospitalier. Pour limiter les effets négatifs du travail nocturne et sa pénibilité, les agents travaillant uniquement de nuit ont vu leur temps de travail peu à peu réduit.
Former les salariés à l’hygiène de vie
et vous qu’en pensez vous ?