L’EPR talon d’Achille du nucléaire français ?

    Pourquoi les travaux neufs posent des soucis de partout à (EDF-Orano) ? 1/ la surveillance des exploitants des activités sous-traités n’est pas au niveau attendu (dixit ASN) : « a force de faire faire aux autres ces grands Donneurs d’Ordres ne savent plus faire eux mêmes et surveiller devient pour lui très très complexe  » 2/ l’ensemble des projets (travaux neuf – maintenance) sont budgétisés au plus bas coup « ex : le broyeur fourni par Nestlé à Comurehx 2 n’est pas adapté pour broyer du minerai…sans oublié les cristallisoirs qui eux aussi posent de sérieux problèmes d’exploitation »…à tout cela, s’ajoute des conditions sociales très dégradées pour les agents statutaires et personnels sous-traitants sur l’ensemble du parc …

    « Pour garantir l’indépendance énergétique de la France, pour garantir l’approvisionnement électrique de notre pays et atteindre nos objectifs, en particulier la neutralité carbone en 2050, nous allons, pour la première fois depuis des décennies, relancer la construction de réacteurs nucléaires dans notre pays », a déclaré Emmanuel Macron lors de son allocution publique du 9 novembre. Après 17 ans de travaux, le réacteur de nouvelle génération réalisé par les Français en Finlande ne fonctionne toujours pas. Seul autre réacteur européen de ce type, l’EPR de Flamanville devait entrer en production en 2012… En 2017, Agnès Sinaï racontait la « stupéfiante défaillance des cuves du Creusot » au sein de ce chantier et s’interrogeait sur les conséquences de cette avarie. « L’affaire de l’EPR a mis en lumière un défaut de qualification du procédé de fabrication qui donne des sueurs froides à toute la filière », précisait-elle. Son ouverture est désormais annoncée en 2023.

    Stupéfiante défaillance des cuves du Creusot

    Pendant le prochain quinquennat, 23 des 58 réacteurs du parc atomique français dépasseront les quarante années de fonctionnement. Faudra-t-il prolonger leur exploitation au-delà de la durée prévue lors de leur conception, remplacer ces centrales par une nouvelle génération ou sortir progressivement du nucléaire ? L’histoire édifiante d’une pièce essentielle du dispositif de sûreté interroge les choix à venir.

    Ce bloc en acier mesurant 23,2 centimètres d’épaisseur et 4,72 mètres de diamètre joue un rôle crucial dans le confinement des centrales électronucléaires. La cuve du réacteur abrite la fission contrôlée de l’uranium dans une eau sous haute pression. Une fissure ou une rupture brutale de la calotte du fond conduirait à un accident majeur difficilement maîtrisable. La montée en pression dans l’enceinte de confinement en béton serait trop rapide pour être endiguée. L’explosion de celle-ci entraînerait des rejets de radioactivité dans l’atmosphère, avec pour conséquence des dommages incalculables.

    « La rupture doit être exclue », dit avec force le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), M. Pierre-Franck Chevet, devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Ce 25 juin 2015, les élus sont sidérés par la découverte des défauts de fabrication de la cuve déjà installée dans l’EPR (1), réacteur dit de « troisième génération », en construction à Flamanville (Manche). Alors que dès 2007 l’ASN a demandé à l’entreprise de procéder à des essais pour pouvoir prononcer la conformité de ces pièces à l’exigence de qualification technique (2), ceux-ci n’ont eu lieu qu’en octobre 2014, sur une calotte similaire initialement destinée au marché américain. Et les résultats communiqués au printemps 2015 s’avèrent désastreux : la résilience de la cuve se limite par endroits à 36 joules et en moyenne à 52 joules, quand la réglementation en impose un minimum de 60  (3). C’est une avarie de premier ordre pour un chantier pharaonique.

    Avec une puissance électrique annoncée de 1 630 mégawatts (MW), l’EPR sera, s’il voit le jour, le réacteur le plus puissant du monde. Destiné à remplacer à terme tous les réacteurs actuels (900, 1 300 et 1 450 MW), ce modèle est présenté comme plus rentable, plus sûr, entièrement informatisé et d’une durée de vie de soixante ans. Dès la création d’Areva en 2001, issue du rachat de Cogema par Framatome, Mme Anne Lauvergeon, alors présidente-directrice générale du groupe, en a fait son principal argument pour la relance du nucléaire, en France comme à l’international. Mais les vicissitudes de la construction des prototypes trahissent la démesure du projet. En Chine, l’inauguration des deux EPR en chantier à Taishan a été repoussée à la fin de l’année (4). En Finlande, l’EPR d’Olkiluoto, qui devait démarrer en 2009, ne sera raccordé au réseau électrique au mieux que fin 2018. À Flamanville, le chantier lancé en 2007 accumule les retards : déjà plus de six années. Estimé initialement à 3,3 milliards d’euros, son coût sera au moins de 10,5 milliards d’euros (5), et à condition qu’Areva trouve une parade à ses nouveaux déboires, qui révèlent un défaut majeur dans la maîtrise de la qualité des pièces forgées.

    La cuve en acier d’un réacteur doit être ductile, c’est-à-dire apte à se déformer sous l’effort, sans rompre, mais aussi tenace pour résister à la propagation d’une fissure sous contrainte mécanique. Très peu de forges dans le monde sont capables d’en fabriquer. La calotte et le fond de cuve de Flamanville ont été façonnés dans l’usine Creusot Forge, en Saône-et-Loire, où les lingots de 156 tonnes en provenance de l’usine voisine d’Industeel (ArcelorMittal) sont forgés puis moulés sur une énorme presse pour prendre la forme d’un couvercle ou d’un fond de cuve de réacteur, d’une virole de générateur de vapeur ou encore d’une branche de tuyauterie.

    La forge du Creusot a une longue histoire, qui débute en 1782 et s’étoffe à partir de 1836 sous l’égide de la dynastie industrielle des Schneider. Sous le contrôle du baron Édouard-Jean Empain à partir de 1969, l’activité donne naissance l’année d’après à Creusot-Loire, qui compte jusqu’à 22 000 salariés (6). L’atelier d’usinage de pièces nucléaires — qui marque alors un tournant technologique — est inauguré en 1974. Mais la demande s’essouffle après l’achèvement des principales centrales françaises, la baisse des prix du pétrole et la catastrophe de Tchernobyl, en 1986, qui provoque le gel des investissements dans le monde.

    Un savoir-faire et des procédures émoussés

    En 2003, l’homme d’affaires Michel-Yves Bolloré (frère de Vincent) rachète la forge pour une bouchée de pain, alors que l’activité est en veilleuse depuis près de vingt ans et que le site ne compte plus que quatre cents salariés. Le savoir-faire et les procédures se sont émoussés. Dès le 16 décembre 2005, le chef du Bureau de contrôle des chaudières nucléaires (BCCN) écrit à la direction d’Électricité de France (EDF) : « Le BCCN a récemment constaté de nombreux écarts concernant le forgeron Creusot Forge. Ces éléments mettent en cause la qualité des travaux et de la surveillance de ses sous-traitants  (7) »

    Après une visite au Creusot, le BCCN repère des « déviances » qui auraient dû être signalées par le fabricant lui-même ou par son commanditaire. Le président de l’ASN de l’époque, M. André-Claude Lacoste, aurait averti Areva : « Votre fournisseur a de gros problèmes, changez-en ou rachetez-le  (8)  ! » Areva annonce ce rachat en septembre et s’exécute fin 2006 pour la somme surprenante de 170 millions d’euros (9). C’est dans cette période mouvementée, entre septembre 2006 et janvier 2007, que les calottes du couvercle et du fond de la cuve de l’EPR ont été élaborées…

    Les anomalies constatées relèvent d’un phénomène bien connu de ségrégation des atomes du carbone que l’on ajoute au fer lors de la fabrication de l’acier. David Rodney, physicien spécialiste des métaux, décrit le risque de rupture : « Le fait qu’il y ait une concentration en carbone un peu trop importante dans certaines pièces des centrales nucléaires les rend à la fois plus dures et plus fragiles, d’autant que la résilience de l’acier diminue du fait du bombardement par les neutrons. En fonctionnement normal, cela ne pose pas de problème ; mais, en cas d’arrêt d’urgence du réacteur, la baisse de la température entraîne une contrainte forte sur les matériaux. » Alors que la teneur en carbone n’aurait pas dû dépasser 0,22 %, celle mesurée par Areva était par endroits de 0,30 %.

    Comment expliquer que le japonais Mitsubishi Heavy Industries soit parvenu à forger correctement des composants équivalents pour l’EPR finlandais ? « Creusot Forge a fait un choix différent de Mitsubishi, qui pouvait utiliser un lingot plus grand. Areva a voulu croire que ce qui fonctionnait avec une pièce plus petite pourrait convenir à cette nouvelle échelle. Dès le départ, l’alerte sur le risque de ségrégation du carbone était plus élevée que d’habitude et aurait dû mener à des contrôles plus poussés », explique l’expert indépendant Yves Marignac, directeur de l’agence d’information sur l’énergie Wise-Paris. Quant à EDF, responsable du chantier de Flamanville, elle semble s’en être remise aux garanties apportées par Areva sur la qualité de la cuve avant d’accepter que celle-ci soit installée.

    Les syndicats de la filière déplorent une perte de compétence et une stratégie d’entreprise devenue illisible, dans le contexte du rachat d’Areva NP (Nuclear Power, construction de réacteurs) par EDF décidé en 2016 : « Quand la logique financière se substitue à la réalité de la production, on en arrive là. Les économies sur la matière utilisée, sur les salariés et la non-prise en compte des retours du terrain ont joué en notre défaveur. Le gouvernement a ouvert le capital d’Areva à l’étranger et a démantelé le groupe en misant sur le tout-export avant de penser à ce qu’on pourrait faire pour la France », témoigne M. Laurent Roussel, délégué syndical Areva NP.

    L’affaire de l’EPR a mis en lumière un défaut de qualification du procédé de fabrication qui donne des sueurs froides à toute la filière. En s’intéressant à l’ensemble des composants façonnés dans les réacteurs avec la même technique que la cuve de l’EPR, l’autorité de sûreté a ouvert la boîte de Pandore. De nombreuses irrégularités ont été repérées dans le contrôle de pièces vitales élaborées par Areva au Creusot et par Japan Casting & Forging Corporation au Japon. Le 22 septembre 2016, l’ASN en publie une liste (10) : « On découvre que le fond des générateurs de vapeur a été fabriqué dans les mêmes conditions et qu’il y a des problèmes de teneur en carbone. Il y a aussi la question du phosphore dans ces alliages. C’est d’une complexité sans fin. On se heurte aux limites techniques de ces prétendus fleurons de l’industrie, commente le physicien nucléaire Bernard Laponche. Les contrôles se font sur la base de déclarations fournies par les industriels eux-mêmes. On s’aperçoit que le mensonge règne. » Selon l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), mandaté par l’ASN, « les justifications permettant de montrer que cet affaiblissement est sans conséquence pour la sûreté ont pu être apportées rapidement pour les couvercles de cuves », mais de nombreux générateurs de vapeur nécessitent « des investigations complémentaires » (11). Par chance, l’hiver n’a pas été trop rigoureux, car les recherches de l’ASN ont conduit à plusieurs arrêts afin de pouvoir vérifier dix-huit des cinquante-huit réacteurs en fonctionnement.

    Lors de ses vœux à la presse, le 18 janvier 2017, M. Chevet estime « préoccupante » la situation de la filière et souligne que l’ASN a identifié un ensemble de dossiers dits barrés, suspectés d’irrégularités, qui « s’apparentent à des faux, des falsifications ». Une inspection internationale menée sous sa conduite au Creusot, du 28 novembre au 2 décembre dernier, a révélé une « culture de qualité » défaillante : absence d’identification des causes, sous-effectif de l’équipe qualité, absence de qualification de la fonction de superviseur, etc. (12). « Aucun contrôle spécifique n’est mis en œuvre par Areva NP pour détecter ce type de pratique », notent les inspecteurs à propos des irrégularités.

    Exemple de ces irrégularités concernant le réacteur numéro 2 de Fessenheim, qui a dû être arrêté en juin 2016 : « On a constaté que la tenue mécanique de la virole basse d’un générateur de vapeur n’était pas garantie. En 2012, Areva ne nous avait pas informés de cet écart », explique M. Rémy Catteau, directeur des équipements sous pression nucléaires à l’ASN. Une « anomalie de trop » qui a conduit à un signalement auprès du procureur de la République : une enquête préliminaire a été ouverte en décembre dernier à la suite de plaintes déposées par plusieurs associations pour mise en danger de la vie d’autrui.

    EDF sur la sellette

    Alors que les leçons de la catastrophe de Fukushima conduisent à renforcer la sécurité en mobilisant les opérateurs des sites, ces découvertes tombent très mal. L’autorité de sûreté sera de son côté confrontée à un manque de moyens dans une période qui verra l’essentiel des réacteurs nucléaires atteindre la fin de leur durée de vie. Les « grands carénages » nécessaires à la prolongation de leur fonctionnement au-delà de quarante années pourraient s’avérer très coûteux et ne peuvent concerner certaines pièces, comme les cuves.

    Mais EDF fait bonne figure. Lors d’une visite de presse le 16 novembre 2016 à Flamanville, où s’activent 4 300 travailleurs, M. Xavier Ursat, directeur exécutif chargé de l’ingénierie et des projets EDF, explique aux journalistes que « le chantier a été remis sur les rails ». Le planning « ambitieux et réaliste sera tenu »  (13). Pour EDF, il ne fait aucun doute que l’équipement est suffisamment robuste pour être déclaré apte à produire. « Les caractéristiques de ténacité mesurées dans les pièces [testées] respectent les attendus de la lettre de suite de l’ASN émise en décembre 2015. Le projet Flamanville 3 continue sa progression à un rythme soutenu et les essais de mise en service du réacteur interviendront dès 2017 », affirme de son côté Areva. Le 15 mars dernier, EDF annonçait la prochaine étape : « le chargement de son combustible et son démarrage, à la fin du quatrième trimestre 2018 ». Une manière de passer l’éponge en augmentant un peu plus la pression qui pèse sur l’ASN.

    Car, d’ici à l’automne 2017, le « gendarme du nucléaire » doit statuer sur les derniers résultats de l’évaluation de la cuve, fournis en novembre 2016. Areva a joué avec le feu, alors qu’elle avait été avertie par l’ASN dès 2007 de la prise de risque industriel importante liée au caractère tardif de la qualification technique des matériaux. Cette décision sera d’autant plus cruciale pour EDF que l’entreprise publique a signé un marché géant avec le Royaume-Uni le 29 septembre 2016. Deux EPR coûtant au total 22 milliards d’euros doivent être construits à Hinkley Point par EDF et l’énergéticien chinois China General Nuclear Power Corporation. Les risques économiques de l’opération liés aux clauses du contrat inquiètent d’ailleurs beaucoup les syndicats de l’entreprise publique ; ils ont conduit à la démission du directeur financier d’EDF, M. Thomas Piquemal, en mars 2016, puis d’un membre du conseil d’administration.

    Que l’autorité de sûreté invalide la réception des pièces défaillantes ou demande une puissance d’exploitation réduite, et toute la filière tremblera. La vraie faiblesse du nucléaire français réside autant dans la vulnérabilité des cuves que dans l’arrogance techniciste de ses promoteurs.

    Agnès Sinaï

    Journaliste.

    (1Pour evolutionary power reactor réacteur électrique évolutionnaire »).

    (3« Précisions techniques sur les anomalies de fabrication de la cuve de l’EPR de Flamanville » (PDF), note d’information de l’ASN, 8 avril 2015.

    (4Mycle Schneider et Antony Patrick Froggatt, Word Nuclear Industry Status Report 2016.

    (5L’Usine nouvelle, no 3434, Antony, 3 septembre 2015.

    (6Didier Hugue, « Un site passé aux mains de plusieurs repreneurs », Les Échos, Paris, 3 mai 2016.

    (7Lettre du chef du BCCN au directeur d’EDF (PDF), 16 décembre 2005.

    (8Sylvain Tronchet, « Cuve de l’EPR de Flamanville : l’incroyable légèreté d’Areva et EDF », émission « Secrets d’info », France Inter, 1er avril 2017.

    (9Ibid.

    (10Note de l’ASN du 22 septembre 2016, « Liste des irrégularités détectées au sein de Creusot Forge » (PDF).

    (11Note d’information de l’IRSN (PDF), 18 octobre 2016.

    (12« Inspection multinationale — usine Creusot Forge » (PDF), courrier de l’ASN au président d’Areva, 31 janvier 2017.

    (13Philippe Collet, « Nucléaire : la relance d’EDF suspendue à la cuve de l’EPR », Actu- environnement.com, 17 novembre 2016.

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