Les sages de la rue de Montpensier viennent d’étendre le champ des préjudices indemnisables en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, imposant un alignement sur le droit commun.
La garde à vue n’est pas le seul sujet sur lequel le Conseil constitutionnel vient de chambouler le droit existant. Une réponse à une question prioritaire de constitutionnalité, en date du 18 juin, bouscule un édifice juridique de plus de cent ans, celui de l’indemnisation des salariés victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
Une loi de 1898 avait facilité leur indemnisation en posant le principe d’une responsabilité de l’employeur, qu’il ait commis ou pas une faute. En contrepartie, l’indemnisation était forfaitisée. En cas de faute inexcusable, le salarié avait le droit de demander un complément. Mais les préjudices indemnisables étaient énumérés limitativement par le Code de la Sécurité sociale. Au départ avantageux pour la victime, par rapport au droit commun, le système est devenu moins favorable à mesure que celui-ci s’est étoffé. Exemple : l’indemnisation automatique et intégrale en cas d’accident de la route, prévue depuis 1985, ne s’applique pas aux salariés. Malgré plusieurs rapports dans les années 2000, le législateur n’a pas pris l’initiative d’aligner le droit des salariés.
Le Conseil constitutionnel vient de l’imposer. Estimant que nul n’est besoin d’une loi pour cela. « En présence d’une faute inexcusable de l’employeur », le fait qu’un salarié ou ses ayants droit puissent exiger réparation des préjudices inscrits dans le Code de la Sécurité sociale ne peut « faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l’employeur réparation de l’ensemble des dommages non couverts [par ce code] », affirment les sages de la rue de Montpensier. Cela devrait notamment couvrir le coût de l’adaptation d’un logement ou d’un véhicule ou celui de l’assistance d’une tierce personne.
Les salariés victimes de l’amiante ne sont pas concernés ; le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva) vient déjà en complément. Pour les autres, il faudra quelques décisions de justice pour connaître toutes les conséquences de la décision des sages du Conseil. « Sans doute aura-t-on besoin de quelques arrêts de la Cour de cassation pour savoir s’il s’agit d’un bouleversement considérable ou pas. Il y a un certain nombre d’inconnues », note Jean-Paul Teissonnière, avocat spécialisé en santé au travail, côté salariés. Cela n’allégera pas la tâche des tribunaux, la décision du 18 juin s’appliquant déjà aux affaires en cours, sur lesquelles il y a depuis, quasi systématiquement, appel.
Camille Pradel, avocat lui aussi, mais côté employeurs, qui regrette que le Conseil constitutionnel n’ait pas renvoyé le sujet au législateur, estime qu’ « on ne sait pas quelle va être la réaction des juges de fond ». Pour lui, cela va conduire les entreprises à « miser sur la prévention ».
La décision du Conseil constitutionnel devrait en tout cas avoir un coût financier immédiat : une hausse du prix des assurances pour faute inexcusable. Comme en 2002, lorsque la Cour de cassation avait élargi la reconnaissance de telles fautes.