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De nombreux juges passent outre le barème Macron pour indemniser des salariés licenciés abusivement. La bataille fait rage mais elle n’est pas encore gagnée car c’est la Cour de cassation, qui jusqu’ici ne s’est pas encore prononcée sur le fond, qui fixera bientôt le cap.
C’est une fronde comme seuls les juges judiciaires savent la mener. Le fameux « barème Macron » qui fixe des plafonds d’indemnités prud’homales, né des ordonnances éponymes du 22 septembre 2017, vacille sous la triple pression de salariés injustement licenciés, de leurs avocats militants, de conseils de prud’hommes et de cours d’appel attentifs à une juste réparation des préjudices subis suite à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le 16 mars, c’est la cour d’appel de Paris qui a dégainé. Dans cette affaire, la salariée, âgée de 53 ans, dont le licenciement a été jugé sans cause réelle et sérieuse, comptabilisait moins de quatre années d’ancienneté. L’application du barème Macron, qui oscille entre des montants minimaux et maximaux et varie en fonction de l’ancienneté du salarié et la taille de l’entreprise, réservait à l’intéressée une indemnité que les juges devaient fixer entre 13 000 et 17 000 euros.
Après une analyse de la situation « concrète et particulière » de la salariée, les juges parisiens lui accordent une indemnisation de 32 000 euros, soit le double des montants fixés par le barème Macron. En lieu et place d’une application mécanique et systématique du barème, la cour d’appel de Paris procède à une mesure plus fine du préjudice réellement subi par l’intéressée à l’aune des critères suivants : les circonstances de la rupture, l’âge, l’ancienneté, la capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et son expérience, enfin les conséquences du licenciement à son égard. Pour la salariée, le gain est substantiel. C’est une nouvelle défaite pour le barème Macron.
Les juges apprécient la situation « concrète et particulière » du salarié
Un mois avant l’arrêt parisien, c’est un jugement du conseil des prud’hommes de Nantes, le 5 février, qui a retenu l’attention. Au bout d’un an et six mois d’ancienneté, un cuisinier de 23 ans est abusivement licencié. Selon le barème, son indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse devait s’élever au maximum à deux mois de salaire, soit un peu moins de 5 000 euros.
Les juges prud’homaux vont se pencher sur la situation concrète du salarié post-licenciement : sans emploi, au RSA, hébergé gracieusement au domicile maternel, sans compter la difficulté de retrouver un emploi de cuisinier dans le contexte actuel de la crise sanitaire. Là encore, le barème est écarté et l’indemnisation grimpe à 7 500 euros, à la plus grande satisfaction du cuisinier.
Le CPH de Rambouillet ne dit pas autre chose, le 20 novembre 2020 : « La situation de crise sanitaire liée à la Covid-19 ne permettra pas d’embauche prochainement. »
La faiblesse des montants du barème particulièrement pour les petites anciennetés, conjuguée à la crise liée à la Covid-19 a heurté la conscience des juges
Paris, Lyon, Boulogne-Billancourt, Saint-Germain-en-Laye, Bayonne, Amiens, Troyes, Grenoble, Bordeaux, Créteil, Reims, Caen, Le Havre, Limoges, Martigues, Nevers, Pau… les prud’hommes sont de plus en plus nombreux à refuser le diketat du barème Macron. Les cours d’appel de Reims, Paris, Grenoble, Limoges, Versailles, Bourges leur ont emboîté le pas et se rebellent à leur tour. La faiblesse des montants du barème particulièrement pour les petites anciennetés, conjuguée à la crise liée à la Covid-19 a heurté la conscience des juges.
Ce mouvement est d’ampleur. Il est également porté par les avocats du syndicat des avocats de France (SAF), vent debout contre le barème. Dans la lettre du SAF de mai 2019, Isabelle Taraud, avocate, en fait l’amer constat : « Il n’existe en France aucun autre domaine de notre droit de la responsabilité, contractuelle comme délictuelle, dans lequel la victime se voit imposer un plafonnement de son indemnisation au motif de la préservation de l’intérêt économique de l’auteur de la faute. »
Ce collectif d’avocats a préparé un argumentaire pour convaincre les juges d’écarter le barème. En ligne de mire : la compatibilité du barème avec les normes supra-nationales et l’aide précieuse de deux décisions du Comité européen des droits sociaux (CEDS), organe du Conseil de l’Europe, qui ont déclaré le 8 septembre 2016 le barème finlandais puis, le 11 février 2020, le barème italien non conformes à la Charte sociale européenne.
Le barème français dont les montants sont inférieurs à ses homologues finlandais et italien pourrait-il suivre le même sort ? Les syndicats CGT et FO en sont persuadés. Les deux centrales ont saisi le CEDS dont on ne connaît toujours pas la position. Mais, en toute hypothèse, la décision ne liera pas les juges. Tout comme le point de vue toujours attendu du comité des experts de l’Organisation internationale du travail (OIT) saisie par FO.
La chambre sociale de la Cour de cassation contre l’avis de sa « cheffe » ?
Le combat contre le barème est politique ; il n’est d’ailleurs pas anodin qu’il soit toujours dénommé « barème Macron ». Mais son maintien ou sa mise à mort résultera de l’argumentation juridique, au plus haut niveau de la hiérarchie judiciaire. Sur le sujet, il faut se référer à l’avis de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 17 juillet 2019, la formation la plus solennelle de la Cour de cassation, qui pèse très lourd. Cette procédure pour avis est utilisée à l’occasion d’une nouvelle problématique juridique susceptible de donner lieu à des jurisprudences discordantes. C’était le cas pour le barème.
Si prud’hommes et cours d’appel n’ont pas hésité à passer outre l’avis de l’assemblée plénière qui a validé le barème, ce sera beaucoup plus compliqué pour la chambre sociale de la Cour de cassation
Saisie par les conseils de prud’hommes de Toulouse et de Louviers qui voulaient y voir plus clair, l’assemblée plénière a dû se prononcer sur la compatibilité du barème aux normes supra-nationales, (articles 24 de la Charte sociale européenne et 10 de la convention n °158 de l’OIT) qui prévoient le droit pour le salarié licencié de percevoir « une indemnité adéquate ». L’assemblée plénière a verrouillé le dispositif en décidant que l’article 24 de la Charte « n’était pas d’effet direct », ce qui signifie qu’il ne peut être invoqué par un particulier. Elle a considéré que le barème n’était pas en contradiction avec la convention n °158 de l’OIT.
Certes, comme tout avis, il n’est pas contraignant et ne lie pas le juge mais il émane de l’assemblée plénière de la Cour de cassation, le « sommet du sommet ». Si prud’hommes et cours d’appel n’ont pas hésité à passer outre l’avis, ce sera plus compliqué pour la chambre sociale de la Cour de cassation, qui vient juste d’être saisie de l’affaire de la cour d’appel de Paris. Elle pourra difficilement faire abstraction de la position de sa « cheffe », mais la chambre sociale a le pouvoir, elle aussi, de surprendre.
Le sort du barème est en tout cas désormais entre ses mains. C’est elle qui fixera le cap, probablement d’ici la fin de cette année.
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