Chez Guillaume Herbaut, la splendeur des images est toujours trompeuse.
La beauté a quelque chose de vénéneux. L’enquête « L’or noir de Tchernobyl », présentée au festival de photojournalisme de Perpignan, n’échappe pas à la règle.
Le photographe se sert d’images à l’ambiance picturale, aux couleurs léchées, pour traiter d’une réalité effrayante : le trafic à grande échelle des métaux radioactifs dans la zone de Tchernobyl.
Trafic de grande ampleur : sur les 8 millions de tonnes de métal que comptait la zone, il n’en resterait plus que deux. Toutes les semaines, 200 tonnes de métal quittent les lieux, chargées sur des camions, alors qu’officiellement aucun objet n’est autorisé à sortir. « Pour 100 dollars, les gardiens ferment les yeux », explique Guillaume Herbaut. Au bout de la chaîne, le métal irradié est fondu dans des métallurgies, en Ukraine, avant d’être vendu en Turquie ou en Europe – on en a retrouvé des morceaux en Italie.
Officiellement, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) n’est pas au courant. L’exposition se clôt symboliquement sur le geste de dénégation d’un officiel ukrainien.
Cela fait dix ans qu’Herbaut fréquente le site de la catastrophe nucléaire, en Ukraine. A chaque fois, il parcourt la « zone interdite », trente kilomètres autour de la centrale, restée très contaminée vingt-quatre ans après l’accident. En tentant, à chaque fois, de contourner le circuit habituel imposé par les autorités.
C’est au printemps 2010, alors qu’il part avec le journaliste Bruno Masi, qu’il parvient à percer certains mystères du site. « Je ne comprenais pas pourquoi le cimetière d’engins militaires de Rassokha, que j’avais photographié il y a dix ans, était interdit d’accès. Ni pourquoi les immeubles de la ville de Pripiat, évacuée après la catastrophe, restaient dans un état lamentable, les tuyauteries explosées, les radiateurs arrachés. »
Il lui a fallu plusieurs mois de travail, et nombre de parties de cache-cache avec la police locale, pour mener à bien l’enquête. Grâce à Igor, un sans-papiers qui attend son procès pour trafic de métal, le photographe a réussi à remonter, et à photographier, toute la filière. Sur ses images, on suit Igor le « stalker » – nom dérivé d’un livre de science-fiction d’Andreï Tarkovski, devenu culte en Russie -, homme à tout faire qui parcourt la zone interdite à la recherche de métal, qu’il découpe et collecte sans aucune protection. Puis on voit les métaux récupérés par des entreprises de sous-traitance être « décontaminés » de façon superficielle dans des ateliers qui ressemblent à l’antre du diable. « Dans un boucan incroyable, entourés de poussière radioactive, des hommes sans masque nettoient le métal en projetant du sable sous pression, raconte Guillaume Herbaut. Le compteur indiquait 400 rems, alors que la norme est de 9 à 20 rems ! Nous avons pris des photos le plus vite possible, et nous sommes sortis. » Le plus incroyable est que cette activité clandestine et dangereuse se déroule dans les blocs 5 et 6 de la centrale, à quelques centaines de mètres de la cafétéria où déjeunent chaque jour tous les journalistes venus visiter le site.
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