A l’instar de ce qui se fait déjà dans de nombreux pays, l’électricien veut allonger la durée de vie de ses réacteurs nucléaires, dont les plus anciens ont trente ans cette année
Depuis un mois, EDF s’est lancé dans un énorme chantier : les troisièmes visites décennales de ses premières centrales, mises en service à la fin des années 1970. L’objectif immédiat est de porter la durée de vie de ses réacteurs à quarante ans, mais l’électricien aimerait aller au-delà. Les opérations ont débuté en mai à Tricastin (Drôme). Puis viendra le tour, en octobre, de Fessenheim (Haut-Rhin). Sur les 58 réacteurs du parc nucléaire français, 19 vont ainsi être révisés de fond en comble dans les cinq années qui viennent. Un véritable « check-up » de chacun des éléments composant la centrale.
Du bâtiment réacteur, en passant par la salle de commandes, le démontage de la turbine et des tuyauteries, quelque 2.500 opérations de vérification doivent être réalisées durant les trois mois de mise à l’arrêt, mobilisant environ 1.500 personnes, pour un coût évalué à une cinquantaine de millions d’euros. Une pince d’une quinzaine de mètres de hauteur, qui ressemble à une grosse pince à sucre, va, par exemple, être descendue dans la cuve du réacteur, là où se trouvent en temps normal les barres d’uranium, pour détecter d’éventuelles microfissures.
EDF prévoit également de porter la pression à cinq bars, soit cinq fois la pression atmosphérique, dans le bâtiment réacteur durant une soixantaine d’heures pour mesurer le comportement du béton de l’enceinte de confinement.
« Pas de transparence »
Chacune de ces visites décennales est réalisée sous la supervision de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui doit donner au final son feu vert à la poursuite de l’activité du réacteur, pour dix années supplémentaires, sur la base d’un rapport transmis par EDF. Une simple formalité ? « Nous n’avons pas encore le tampon formel de l’ASN, mais nous sommes très confiants », affirme Bernard Dupraz, directeur général adjoint de la production d’EDF. Un optimisme que n’apprécient guère les associations écologistes. « Nous ne croyons pas à l’indépendance de l’ASN et il n’y a pas de transparence », tranche-t-on au réseau Sortir du nucléaire.
De son côté, la Criirad met en avant les incidents à Tricastin et à Fessenheim ces derniers mois, et les observations émises par le gendarme du nucléaire lors de la précédente visite décennale, concernant les défauts de revêtement des cuves dans ces deux centrales. Des problèmes réglés, affirme EDF qui met en avant les 450 contrôles annuels, dont certains inopinés, réalisés par les inspecteurs de l’ASN, et les améliorations continuelles apportées en matière de sûreté. Selon l’électricien, les révisions décennales sont également largement préparées en amont.
« Le processus a démarré dès 2003 à Tricastin. Nous définissons un certain nombre d’améliorations à apporter, soumises à l’ASN, qui apporte ensuite son approbation technique. À partir de là, nous élaborons ensemble un cahier des charges », explique Alain Peckre, le directeur de la centrale.
Enjeux financiers énormes
Les enjeux financiers sont, en tout cas, énormes. Car, derrière le seuil des 40 ans, se profile l’horizon des 60 ans, l’âge auquel EDF voudrait amener ses réacteurs. Le coût pour prolonger de vingt ans le fonctionnement d’un réacteur est estimé à 400 millions d’euros, avec le remplacement d’un certain nombre de composants, comme les générateurs de vapeur. Soit 24 milliards pour l’ensemble du parc.
C’est beaucoup, mais finalement assez peu, comparé aux quatre milliards d’euros nécessaires pour construire aujourd’hui un seul nouveau réacteur de type EPR. Le calcul est donc vite fait. Aux Etats-Unis, l’autorité de sûreté a déjà porté 54 réacteurs à 60 ans, soit la moitié du parc et plusieurs exploitants parlent d’aller jusqu’à 80 ans. En Suisse, certaines centrales peuvent déjà fonctionner cinquante ans. Les Pays-Bas sont, eux aussi, à 60 ans.
Les dirigeants d’EDF ne cachent pas leur souhait que l’ASN prenne des décisions rapides en ce sens. « Nous voulons ouvrir l’option des 60 ans à tous nos réacteurs, même si certains s’arrêteront peut-être avant. Il s’agit d’investissements très lourds et nous avons besoin de visibilité », affirme Bernard Dupraz. L’électricien est d’ores et déjà en train de préparer un « référentiel de sûreté », répertoriant l’ensemble des travaux qui devraient être accomplis pour faire tourner les réacteurs vingt ans de plus. Il va être transmis à l’ASN dans les prochains mois.
Une démarche inédite qui vise, hors visite décennale, à obtenir une sorte « d’avis de principe » de la part de l’ASN, en 2011. Selon les ingénieurs d’EDF, la standardisation du parc français, qui repose sur une seule technologie (des réacteurs à eau pressurisée), favorise en effet les « retours d’expérience » et devrait faciliter ainsi le passage à 60 ans.
« Toutes les pièces d’une centrale peuvent être remplacées, sauf la cuve et l’enceinte de confinement», souligne Serge Massart, le directeur de la production nucléaire. Reste l’acceptabilité par les populations. Elle est extrêmement variable d’un site à l’autre. « À Tricastin, la mobilisation contre la centrale est très faible. Mais à Fessenheim, les riverains restent très opposés à l’idée même d’aller jusqu’à 40 ans et de nombreuses manifestations sont déjà prévues en octobre », juge Roland Desbordes, le président de la Criirad.
http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2379810&rubId=4076
Jean-Claude BOURBON |