Le monde de demain sera t-il pire qu’avant pour les travailleurs du nucléaire ? Le bilan 2019 sur le niveau de sûreté et radioprotection jugé ACCEPTABLE par l’ASN , ne l’est pas pour les premier-es de corvées de la filière !
Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire s’inquiète d’un « recul de la rigueur dans l’exploitation des centrales »
Bernard Doroszczuk dresse le bilan annuel du fonctionnement des installations et revient sur l’impact de la crise sanitaire sur les centrales.
Comment la filière nucléaire a-t-elle fait face, jusqu’ici, à la crise sanitaire ?
Cette situation est inédite : pour la première fois, l’ensemble de la filière nucléaire s’est retrouvé sous tension sans que l’origine de la crise soit liée à un événement sur son parc. Les plans de continuité d’activité des opérations ont été mis en œuvre sans difficulté, et il n’y a jamais eu de risque pour la sûreté en raison de l’absence de personnels. Sur le parc nucléaire, les installations qui n’étaient pas essentielles à la production d’électricité ou de combustibles ont été mises à l’arrêt.
Quelles mesures de protection ont été prises pour les personnels ? Certains sous-traitants ont estimé n’être pas suffisamment protégés…
Les exploitants ont géré cette crise de manière tout à fait correcte. Il y avait au départ – comme partout – un déficit de masques, mais qui a été résorbé. Bien sûr, il y a eu des interrogations sur le respect des gestes barrières et sur les protections individuelles, tant pour le personnel prestataire que d’EDF. Il y a eu parfois l’évocation d’utilisations de droits de retrait mais, finalement, les mesures de protection nécessaires ont été prises pour les éviter. Il y a eu une prise en main très satisfaisante de la part d’EDF.
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Cette crise a-t-elle toutefois exposé certaines vulnérabilités de la filière ?
Chez Orano [ex-Areva], la discussion concernant le droit de retrait a été plus compliquée que chez EDF. Le personnel a exigé des mises en sécurité qui ont entraîné des arrêts d’une installation de retraitement à la Hague. On s’est aperçu que si de tels arrêts se prolongeaient, cela conduirait à devoir entreposer des quantités plus importantes de combustibles usés dans les « piscines » de la Hague, qui sont déjà très largement occupées.
Cela met de nouveau en évidence que nous sommes dans une situation d’insuffisance d’entreposage des combustibles usés. Il y a donc urgence à prendre une décision concernant la construction d’une nouvelle capacité d’entreposage. Cette décision, portant sur la création d’une « piscine centralisée » par EDF, devait d’ailleurs être prise d’ici à la fin de l’année, mais ce délai ne sera pas respecté. C’est un enseignement général que je tire de cette crise, mais aussi depuis ma prise de fonctions : il y a clairement un déficit de culture de précaution.
Ce « déficit de culture de précaution » est-il d’abord de la responsabilité du gouvernement ou d’EDF ?
Il s’agit d’une responsabilité collective. Concernant les capacités d’entreposage des combustibles usés, cela fait des années que l’ASN alerte sur les risques, mais ce sujet n’est toujours pas pris suffisamment au sérieux. Il y a aussi un déficit de culture de précaution dans la population qui vit autour des centrales. Nous avons réalisé, en 2019, une campagne de distribution de comprimés d’iode : en disposer chez soi est un moyen de se protéger en cas d’accident nucléaire. Et, pourtant, seul 25 % de la population concernée est allé retirer ses comprimés en pharmacie.
Enfin, on a souvent attiré l’attention sur le fait qu’il fallait garder des marges dans la production électrique. Si on n’a pas de capacités de production supérieures à la demande, il serait difficile de prendre des décisions de sûreté qui nous conduiraient à demander l’arrêt d’un ou de plusieurs réacteurs.
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Quel bilan tirez-vous en matière de sûreté sur l’année 2019 ? L’état de santé du parc nucléaire vous semble-t-il rassurant ou préoccupant ?
Le niveau de sûreté a été acceptable, mais certains points nécessitent des améliorations. Dans les points positifs, il faut souligner qu’il n’y a eu aucun incident important sur les installations en service en 2019. Ceci dit, il y a des points de vigilance, notamment chez EDF. Le premier, c’est la saturation des capacités d’ingénierie de l’entreprise, qui doivent être renforcées. C’est un sujet important car de nombreuses opérations liées à la possible prolongation de la durée de vie des réacteurs vont avoir lieu dans les prochaines années. Les opérations ont été très bien conduites sur le site de Tricastin [Drôme], le premier réacteur à avoir passé ce réexamen. Des équipes importantes ont été envoyées sur place pendant de longues périodes. Il faut qu’EDF puisse maintenir ce niveau d’investissement sur les prochains réacteurs, sinon il pourrait y avoir un doute sur sa capacité à assurer le réexamen dans de bonnes conditions.
Vous vous êtes aussi inquiété de l’absence de rigueur d’EDF dans certaines opérations…
Le recul de la rigueur dans l’exploitation des centrales est le deuxième point de vigilance concernant EDF. En 2019, trois événements significatifs de niveau 2 [sur l’échelle INES qui en compte 7] ont eu lieu dans des centrales, contre aucun en 2018. Deuxièmement, l’ASN a constaté que les consignes en cas d’incident [départ de feu, inondations, etc.] n’étaient pas adaptées à la réalité, contenaient parfois des erreurs ou étaient simplement inapplicables. Il y a une certaine dérive de ce point de vue.
Enfin, des écarts de conformité sont toujours constatés sur les réacteurs – des modifications ou des opérations de maintenance réalisées de manière non conforme au cahier des charges. L’ensemble de la chaîne est en cause, beaucoup d’opérations sont réalisées par des prestataires extérieurs, mais elles doivent faire l’objet d’une surveillance renforcée de la part d’EDF, qui en est responsable. Il y a à la fois des problèmes de compétences et, parfois, il faut le dire, un manque de conscience professionnelle dans la culture de sûreté.
Avez-vous l’impression que vos critiques sont prises en compte ?
Oui, nous constatons une évolution et une amélioration. Il y a eu des changements dans la direction du parc nucléaire chez EDF, et nous avons face à nous un état d’esprit plus positif en termes de transparence.
Dans le dossier de l’EPR de Flamanville, l’ASN a contraint EDF à reprendre certaines soudures non conformes. Ce qui a entraîné des nouveaux retards…
Cette décision d’imposer la réparation des soudures a marqué très fortement, d’autant qu’il y a eu par la suite des rapports qui ont confirmé que la conduite du projet de Flamanville avait été défectueuse. Il y a eu une prise de conscience, chez EDF, que la qualité des projets devait être améliorée. Cette décision y a participé.
Les opérations de contrôle que vous avez demandées ont-elles permis de révéler de nouveaux défauts ?
Après la découverte de non-conformité sur une quarantaine de soudures, en avril 2018, l’ASN a demandé une extension des contrôles, et cela a conduit à identifier d’autres difficultés. C’est aujourd’hui plus d’une centaine de soudures, contre une quarantaine initialement, qui doivent être réparées.
Nabil Wakim et Perrine Mouterde
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