Une interview croisée de François Chérèque et Bernard Thibault. Pour les leaders de la CFDT et de la CGT, le maintien d’Eric Woerth à son poste empêche un débat de fond sur les retraites. Ils dénoncent d’une même voix le « climat de division » entretenu selon eux par l’exécutif et demandent au Medef de « condamner clairement l’antisyndicalisme actuel ».
La mobilisation du 7 septembre contre les retraites se déroulera dans un climat politique très tendu. Va-t-elle se transformer en manifestation anti-Sarkozy ?
Bernard Thibault. Ce n’est ni le sujet ni le message. L’objectif, c’est de faire enfin comprendre que les salariés n’acceptent pas cette réforme. Et ce n’est pas nous qui avons déplacé le débat sur le terrain sécuritaire pour tenter, sans succès, de faire diversion…
François Chérèque. Ce n’est pas nous non plus qui avons choisi le calendrier, ni de mener au pas de charge la réforme dite « du quinquennat » en pleine crise politique dans la majorité, avec le ministre en charge du dossier au coeur de cette crise !
Justement, le ministre du Travail, Eric Woerth, a reconnu ce jeudi être intervenu pour l’attribution de la légion d’honneur à Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt. Est-il encore un interlocuteur crédible ? Demandez-vous désormais son départ ?
F. C. Je me pose une question légitime : comment peut-il gérer en même temps ses problèmes personnels avec l’affaire Bettencourt et la réforme des retraites ? Cette situation fait qu’on n’aborde plus du tout le fond du dossier. C’est un vrai problème.
B. T . Eric Woerth est objectivement plus occupé, et préoccupé, par autre chose que par le sujet qui, nous, nous intéresse.
Ce climat politique vous sert-il ?
F. C. Je ne pense pas, dès lors qu’il occulte le débat de fond sur les retraites.
B. T. Non. C’est une réforme structurante pour des décennies et des millions de salariés. Il faut parler du fond. Nous sommes le seul pays en situation de devoir légiférer sur un enjeu de société sans qu’aucune négociation ait eu lieu avec les organisations syndicales. Nous sommes de plus face à un gouvernement sur le départ. C’est pour le moins particulier.
Quelles suites donnerez-vous au 7 septembre si le gouvernement ne répond pas à vos attentes ?
B. T. L’intersyndicale se réunira dès le 8 et décidera. Il faut d’abord assurer le succès et tirer le bilan du 7. Ne confondons pas vitesse et précipitation.
F. C. Nous serons très attentifs au niveau de grève dans le privé. Mais le gouvernement ne pourra pas éternellement continuer à attendre la prochaine manifestation ! Il va bien falloir un jour qu’il arrête d’amuser la galerie et rouvre un vrai dialogue.
Concrètement, comment espérez-vous infléchir la réforme ?
B. T. Il s’agit d’abord de confirmer notre opposition unanime à cette réforme, quelles que soient nos appréciations sur les solutions alternatives. Il ne s’est rien passé depuis la mobilisation du 24 juin alors que le gouvernement avait laissé entendre que certains sujets étaient amendables. Même sur ces sujets, il n’a engagé aucune discussion sérieuse.
Dans ce contexte, quelle place reste-t-il pour le dialogue ?
F. C. Le dialogue n’existera que si le gouvernement bouge sur quatre sujets : la pénibilité, les carrières longues, les polypensionnés et, très important, le passage de 65 à 67 ans pour une retraite à taux plein. Ce report à 67 ans est inacceptable. Il pénaliserait les personnes qui ont eu des carrières incomplètes, et singulièrement les femmes. Nous demandons le maintien de l’âge du taux plein sans décote à 65 ans jusqu’en 2018, date à laquelle un nouveau rendez-vous sur les retraites est prévu. Je conteste les chiffres annoncés par le ministre sur le coût de cette mesure.
François Chérèque, cela signifie-t-il que, en cas de geste du gouvernement sur les 67 ans, vous accepteriez le passage de 60 à 62 ans de l’âge légal de départ ?
F. C. Non. La position de la CFDT a toujours été claire sur ce sujet : nous voulons construire une réforme équitable sur la base des bornes de 60 et 65 ans.
Bernard Thibault, estimez-vous, vous aussi, qu’un recul du gouvernement sur les 67 ans serait une avancée à même de relancer le dialogue ?
B. T. Les âges de 60 et 65 ans auxquels nous sommes attachés ne sont pas séparables. Le gouvernement vient de rappeler qu’il était aussi fermé sur le maintien des 65 ans que des 60 ans. C’est la force de la mobilisation unitaire qui seule peut permettre un déblocage de la situation sur ces deux questions liées.
Le gouvernement semble prêt à faire des concessions sur la pénibilité…
B. T. Lesquelles ? Pour l’instant, il n’a rien dit de ses intentions. D’après ce que je lis dans la presse, il serait prêt à de vagues discussions sur la prévention. C’est très insuffisant. Il faut absolument compenser les effets de la pénibilité sur les salariés usés par leur travail en accordant des départs anticipés. L’approche individualisée et médicalisée à laquelle il s’accroche pour l’instant est la copie conforme de celle du patronat depuis 2003, unanimement refusée par les syndicats.
Le texte prévoit une retraite anticipée pour les assurés souffrant d’un taux d’incapacité d’au moins 20 %. Serait-il plus acceptable si on abaissait ce seuil, à 15 % par exemple ?
B. T. Non !
F. C. Non. L’approche médicalisée proposée par le gouvernement est impraticable et inacceptable. Ce n’est pas une question de niveau du taux.
Vous demandez une prise en compte des effets différés de la pénibilité, comme le travail de nuit ou l’exposition aux produits toxiques. Le gouvernement répond qu’il est très difficile d’en mesurer les effets sur la santé…
F. C. Les syndicats ont déjà fait une grande partie du chemin en modifiant profondément leur position sur la pénibilité. Nous avons accepté de ne pas nous baser sur des métiers ou des catégories de salariés, mais bien sur l’exposition aux risques, sur des critères scientifiques qui sont déjà connus.
B. T. Ces effets différés sont réels et se traduisent par une espérance de vie plus courte de sept ans pour les salariés qui ont eu un métier pénible. C’est un fait que le gouvernement ne peut pas ignorer.
Le débat parlementaire qui s’ouvre mardi sera l’occasion pour le PS de rappeler son propre projet sur les retraites. Est-il meilleur que celui du gouvernement ?
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