Orano, un miraculé du nucléaire en quête de renouveau

    Après des catastrophes industrielles en série, l’ex-Areva, beaucoup plus petit, veut surfer sur le printemps du nucléaire entrevu ces derniers mois.

    Par Lucas Mediavilla

    Source : Orano, un miraculé du nucléaire en quête de renouveau

    Irradié de bonheur. Jeudi 10 février, assis sur sa chaise au coeur de l’usine de Belfort en compagnie de tout le gratin de la filière nucléaire, Philippe Knoche, directeur général d’Orano et ex-Areva, se délecte de chaque mot du discours offensif d’Emmanuel Macron sur la relance de l’énergie atomique en France. Mais ne lui parlez pas de triomphe, ou de revanche. Question d’expérience. En 22 ans passés dans l’entreprise et bientôt sept à sa tête, l’ingénieur des Mines a tout connu. La décennie de conquête dans les années 2000 bien sûr, après la fusion du champion français de l’uranium, la Cogema, avec le constructeur de centrales Framatome, en 2001. Sous l’impulsion d’Anne Lauvergeon, l’ex-Areva et son modèle Nespresso (« On vend les cafetières, et le café qui avec », répétait à l’envi l’ex-dirigeante) trustent alors la première place du nucléaire mondial une décennie durant. Multipliant l’ouverture de nouvelles mines, se diversifiant dans les énergies renouvelables, signant des dizaines de préaccords et quelques contrats pour couvrir le globe avec ses EPR. « C’était l’âge d’or, se souvient un ancien du secteur. En 2008, ils avaient proposé à l’Afrique du Sud de construire douze EPR sur place. Qui imaginerait cela aujourd’hui ? »

    Plus grand monde, c’est certain. Après la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011, l’édifice s’écroule comme un château de cartes. Les nouveaux projets s’effondrent dans le monde. La lutte fratricide s’intensifie entre EDF et Areva et leurs dirigeants respectifs, Henri Proglio et Anne Lauvergeon. Et les fiascos industriels s’enchaînent. Le scandale Uramin, qui coûte 3 milliards d’euros au groupe et sa tête à la patronne, le cauchemar sans fin de l’EPR finlandais, à Olkiluoto. Des années de plomb. L’entreprise est sauvée in extremis de la faillite par l’Etat français, qui enchaîne les augmentations de capital et organise également son démantèlement avec la vente des activités réacteurs de Framatome, ainsi que les activités dans les énergies renouvelables ou encore des participations minières. « Orano est plus qu’un grand brûlé de l’atome, c’est un miraculé », témoigne un syndicaliste. Une histoire heurtée dont le fil s’étend jusqu’à nos jours. Le 21 décembre dernier, l’EPR finlandais a été lancé avec douze années de retard et une facture multipliée par trois. « C’est un réacteur qui va produire de l’électricité bas carbone pendant soixante ans. On le vit avec fierté, mais aussi humilité, vu les difficultés qui ont caractérisé le projet », résume sobrement Philippe Knoche.

    Une nouvelle page

    Une page se tourne. S’ouvre un nouveau chapitre et des perspectives différentes. Baptisé Orano en 2018, le groupe est désormais recentré sur le cycle du combustible (extraction, conversion, enrichissement, retraitement) ainsi que ces activités de démantèlement et de gestion des déchets. Les effectifs, eux, sont passés de 43 000 à 16 500 en l’espace de quelques années. Une période « très douloureuse », se rappelle Cédric Noyer, coordinateur Force ouvrière du groupe. « Les organisations syndicales, pour certaines, ont pris leur responsabilité. C’était ça où la faillite. » En interne, Philippe Knoche a passé tous les budgets à la paille de fer, divisé par trois ceux du siège ou du service communication. Le directeur général lui-même ne voyage plus qu’en seconde classe, à entendre certains proches du groupe. Depuis 2018, l’entreprise dégage des flux de trésorerie positifs – indispensable pour réduire son endettement.

    Mais aussi nécessaire pour rebondir. Après tout, si l’entreprise s’est brûlé les ailes, ce n’est pas par « manque de clients », poursuit son directeur général, mais bien « en raison de défaillances opérationnelles et d’un manque de capacité à délivrer ». Le carnet de commandes, d’ailleurs, est plein à hauteur de 27 milliards d’euros, avec des contrats qui s’étendent sur plus de dix ans. Orano, avec un périmètre réduit, revendique par ailleurs de faire partie du top 3 mondial sur son coeur de métier. « S’il y a bien un domaine où la France n’a pas perdu la main, contrairement à la fabrication des réacteurs, c’est bien la gestion du cycle du combustible », pointe une ancienne du groupe.

    Le lancement d’un nouveau programme EPR en France et le renouveau du secteur entrevu dans plusieurs pays du monde ouvre-t-il pour autant une nouvelle période dorée ? La prudence est de mise. « Sur le secteur minier ou dans l’enrichissement et la conversion [deux étapes pour produire le combustible nucléaire], les surcapacités sont encore très importantes. La renaissance avortée des années 2000 avait poussé à développer des projets qui ne se sont pas matérialisés. Certaines usines tournent encore au ralenti dans le monde », décrypte un bon connaisseur du nucléaire mondial. Philippe Knoche assure néanmoins qu' »entre la fermeture retardée de certains réacteurs et le rythme d’ouverture dans différents pays, notamment en Asie, la demande de combustible va croître ». Le dirigeant voit également dans son viseur l’augmentation sensible du prix de l’uranium sur les marchés ces derniers mois : 45 dollars la tonne, contre 20 dollars il y a encore quelques années. « Il ne faut pas négliger cet effet prix », explique-t-il.

    Des opportunités à confirmer

    Sur le traitement et le recyclage du combustible usé qu’Orano déploie sur ses sites de la Hague (Manche) et de Marcoule (Gard), là encore, les avis divergent. Ce marché a largement périclité dans le sillage de l’abandon de l’énergie nucléaire, en Europe notamment mais aussi aux Etats-Unis. Seule la France et la Russie et leurs acteurs misent encore réellement sur cette activité du cycle du combustible. Dans ses voeux à la presse le 19 janvier, le patron de l’Autorité de sûreté nucléaire français, Bernard Doroszczuk, s’est lui-même inquiété des dysfonctionnements de la filière française. A la Hague, les piscines saturent et des problèmes de corrosion ont récemment mis à l’arrêt une des deux usines de retraitement. Dans le Gard, l’usine Melox peine à honorer son planning de production. Aussi, Bernard Doroszczuk a sous-entendu il y a trois semaines que l’Etat français devait se poser la question de la poursuite ou de l’arrêt de sa filière de retraitement.

    Orano de son côté fait fi des critiques. Persuadé que la filière du recyclage finira par s’imposer, le groupe a investi 700 millions en 2019 pour le site de la Hague, et 83 millions d’euros en tout début 2022 dans son usine de Marcoule pour faire tourner sa production de Mox (le combustible issu du retraitement) à plein. Il espère toujours la signature d’un mégacontrat – de plus en plus incertain il faut bien le dire – en Chine à 10 milliards de dollars pour la création d’une usine de retraitement. La taxonomie européenne, quant à elle, pourrait apporter un nouveau souffle en Europe. S’il reste imprécis sur l’inclusion ou non des activités minières et du cycle du combustible dans la liste des investissements durables, le texte encadrant les futurs investissements dans le nucléaire au sein de l’UE est clair en ce qui concerne la nécessité de « réutilisation ou recyclage maximal » des déchets en fin de vie. De quoi ouvrir de nouvelles perspectives au groupe tricolore. Le business du démantèlement, bien que très concurrentiel, ou celui du transport de matières radioactives restent toujours stratégiques pour le groupe. En témoigne la poignée d’acquisitions réalisées par Orano auprès de Daher ou encore de Geodis (SNCF) dans le secteur ces derniers mois. Le nouveau nucléaire est également un motif d’espoir pour l’entreprise. Aux Etats-Unis notamment, Orano est très impliqué dans le développement des réacteurs de technologie avancée. « Sur les dix projets pilotes retenus par le Departement of Energy, nous sommes fournisseurs d’ingénierie et/ou partenaires dans cinq d’entre eux », se félicite Philippe Knoche.

    Le retour à la mine

    En dehors de l’atome, enfin, la nécessité d’accélérer l’électrification de l’économie donne des idées à l’entreprise. « La transition énergétique, c’est le retour à la mine. On le voit sur la question des métaux critiques. Or Orano, c’est un groupe minier et un excellent chimiste », remarque une proche du groupe. Verra-t-on l’entreprise à la manoeuvre dans l’ouverture de mines de lithium, de cuivre, ou encore de cobalt ? Sans doute pas, prévient son dirigeant. Le métier est très (trop) capitalistique pour sa taille et beaucoup de participations minières ont été cédées. En revanche, l’expertise d’Orano dans la chimie séparative en fait un très bon partenaire technologique. « Nous sommes consultés par des grands groupes qui produisent de l’uranium comme sous-produit ou certains qui ont des résidus qu’ils ont besoin de supprimer. On apporte notre savoir-faire, on est plus sur un métier d’assistance que de mineur », confirme Philippe Knoche. A travers un projet pilote à Bessines-sur-Gartempe dans le Limousin, Orano cherche également à prendre pied sur l’immense marché du recyclage des batteries qui va émerger dans les prochaines années. L’entreprise n’est pas la seule à viser ce créneau. Et à l’image du partenariat entre le chimiste Solvay, le constructeur Renault et le spécialiste des déchets Veolia, il lui faudra sans doute des partenaires pour exister dans ce champ.

    Ainsi que des capitaux. Le dirigeant franco-allemand d’Orano le répète régulièrement, la situation financière est assainie. Orano a même traversé la crise sanitaire sans trop en souffrir, preuve d’une belle résilience. En revanche, le bilan du groupe ne lui permet sans doute pas d’investir autant qu’il le souhaiterait dans ces nouveaux métiers. Aussi, des rumeurs font état depuis deux ans de la volonté de l’entreprise de retrouver la Bourse pour aller chercher de l’argent frais. Pas question, répond Cédric Noyer, de FO. « Nous sommes un maillon de l’indépendance énergétique de la France qui doit rester sous l’égide du public. » Philippe Knoche, lui, assure que le « besoin n’est ni vital ni urgent », tout en jugeant qu’il faudra « le faire au moment opportun ». Une opération de ce type permettrait sans doute d’accélérer dans la chimie séparative ou certaines de ses usines du cycle. Mais également d’enfoncer le clou dans le médical, où sa filiale Orano Med continue de progresser dans le diagnostic et le traitement des cancers et aura besoin de capitaux pour passer à l’échelle supérieure.

    De quoi passer un cap ? Remis sur ses pieds, Orano affiche des prévisions de croissance mesurées. Le chiffre d’affaires est attendu autour de 4,5 milliards d’euros en 2025, contre 3,4 milliards en 2020. Loin, très loin des 14 milliards atteints dans les années d’or d’Areva. « On table sur une croissance d’environ 3% par an », souligne-t-il. « Ce n’est pas Google. Mais on préfère recréer les conditions d’un développement sain plutôt que la croissance à tout prix. » Pour ce grand blessé du nucléaire, réapprendre à marcher avant de vouloir courir.

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