Un réacteur sur le site nucléaire de Marcoule (Reuters)
Pas prévue à l’origine et techniquement ardue, la manœuvre doublerait la durée de vie des centrales et éviterait d’en bâtir de nouvelles.
Officiellement ce n’est pas à l’étude. Mais alors que les réacteurs EPR, basées sur de nouvelles technologies dites de troisième génération, accumulent critiques et retards, EDF pourrait envisager de remplacer les cuves de ses centrales nucléaires pour leur permettre de fonctionner deux fois plus longtemps sans détériorer la sûreté des sites. Une option qu’on pensait impossible jusqu’ici.
A leur conception, on donnait en effet aux centrales nucléaires une espérance de vie de jeunettes. « Une cuve pouvait théoriquement supporter un flux de neutrons pendant trente-deux ans d’exploitation à pleine puissance », explique Monique Sené, du Groupement des scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (GSIEN).
Les vieilles cuves de Tricastin ou Fessenheim ont vécu
Mais à l’approche de la date fatidique, l’idée de prolonger la vie des équipements revient sur la table. L’Autorité de sûreté nucléaire vient ainsi de donner son accord de principe pour que les réacteurs de 900 mégawatts puissent fonctionner jusqu’à 60 ans.
Le souci, c’est que ces vieilles centrales, comme celles de Tricastin ou de Fessenheim, connaissent de plus en plus de fuites, fissures, et autres incidents qui font craindre l’accident. Le risque est réel : la réaction nucléaire qui s’opère dans la cuve de la centrale dégage une énergie gigantesque.
Bombardé en permanence par le rayonnement, le cylindre d’acier peut devenir fragile comme du verre et se casser brutalement, ce qui aurait des conséquences catastrophiques.
Garder la centrale mais changer la cuve, une idée folle ?
Alors, la France doit-elle fermer les centrales qui ont atteint la trentaine ? Délicat.
Le nucléaire fournit plus des trois quarts de l’électricité du pays et le réacteur nouvelle génération, l’EPR, censé prendre le relais à moyen terme et dont deux exemplaires sont en chantier en France, ne tient pas encore ses promesses. Les énergies renouvelables, elles non plus, ne sont pas encore à la hauteur : elles ne devraient assurer que 15,5% de la production d’électricité en 2010.
Germe alors une idée folle : pourrait-on faire en sorte qu’une centrale nucléaire survive à sa cuve, en remplaçant celle-ci lorsqu’elle devient trop dangereuse ?
Ainsi EDF se donnerait du temps -et de l’argent- pour réfléchir sereinement aux énergies renouvelables. C’est le souhait de certains écologistes comme Pascal Husting, le directeur de Greenpeace France, qui préfère la prolongation des centrales existantes à la création d’EPR supplémentaires.
Une opération « pas impossible »
Le problème c’est que le remplacement de la cuve, ce cylindre de 300 à 400 tonnes, est réputé impossible. Roland Debordes, président de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) objecte : « A ma connaissance il n’y a pas de porte assez grande pour la faire sortir. »
Faux, selon Michel Nedelec, du service d’analyse des matériels et des
structures au sein de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) :
« La cuve entre dans le bâtiment par le “tampon matériel” [une grande ouverture circulaire, ndlr]. C’est une grosse opération de la faire ressortir, mais de n’est pas impossible. »
Des générateurs de vapeur et certains couvercles de cuve, eux aussi de dimensions imposantes, ont déjà été remplacés. Michel Nedelec se souvient :
« Ce n’était pas envisagé à l’origine. Les ingénieurs ont conçu des robots capables de couper à distance puis de ressouder les tuyaux reliés à ces pièces. »
Bien entendu, repositionner la cuve au dixième de millimètre près serait une gageure. Mais la difficulté n’était pas moindre pour raccorder les nouveaux générateurs de vapeur aux tuyauteries du circuit primaire.
Protéger l’environnement de la radioactivité de la cuve à l’air libre
Obstacle suivant, de taille : la cuve est radioactive après son exploitation.
Comment la sortir de la centrale sans danger ? La réponse vient ici de centrales américaines, de taille et de puissance similaires à leurs homologues françaises. « A Trojan ou dans le Connecticut nous avons déplacé les cuves en plein air, en prenant des mesures de radio-protection », explique Scott Burnell, de la Commission de régulation nucléaire américaine.
La cuve a été remplie de béton pour atténuer les radiations et couverte d’une matière plastique pour empêcher le vol de poussières radioactives.
Un marché potentiellement mondial
Reste l’enceinte de confinement. A supposer que la cuve puisse être remplacée à l’identique, le béton précontraint du bâtiment réacteur pourra-t-il résister à 30 ou 40 années d’exploitation supplémentaires ?
A priori oui, tout comme un pont ou un autre ouvrage d’art. EDF a tout de même demandé des études en ce sens au tout nouvel Institut du vieillissement des matériaux. Sur les centrales de 1 300 mW, qui ne sont pas protégées par une peau métallique, l’étanchéité pourrait laisser à désirer. Michel Nedelec suggère :
« On pourrait couvrir la paroi intérieure d’une protection à base de résine et de fibre de verre. »
Un matériau déjà utilisé pour les coques de bateau et sur des morceaux de certaines centrales. L’expert de conclure :
« Les difficultés du remplacement sont liées au coût et au temps, mais il n’y a pas d’impossibilité technique. C’est à l’exploitant de voir si l’investissement lui semble rentable. »
A ce jour, EDF affirme n’avoir mené aucune étude sur le remplacement des cuves, du moins aucune pouvant être rendue publique. Si la solution devenait envisageable et permettait de doubler la durée d’exploitation des centrales, elle intéresserait jusqu’à la Chine et l’Afrique du Sud, où sont installés d’autres réacteurs d’Areva.
http://eco.rue89.com/2009/11/08/nucleaire-prolonger-la-vie-dun-reacteur-en-changeant-sa-cuve-125006