Novethic : Le 18 juin dernier, le Conseil Constitutionnel a prononcé un arrêt que vous qualifiez d’historique, concernant l’indemnisation des salariés victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. En quoi cette décision est-elle historique ?
Michel Ledoux : Parce que désormais, les salariés pourront demander réparation de presque tous les préjudices qu’ils ont subis à la suite à un accident du travail ou à une maladie professionnelle. Ce qui était loin d’être le cas auparavant. Le Conseil Constitutionnel avait été saisi par la Cour de Cassation, au sujet de la liste des préjudices dont un salarié pouvait demander réparation dans le cadre d’une procédure de faute inexcusable de l’employeur. Jusqu’ici, cette liste, inscrite dans le Code de Sécurité Sociale, était limitative. Le Conseil Constitutionnel a donc considéré que cette restriction était inconstitutionnelle car discriminatoire par rapport aux victimes d’accidents de droit commun. Dans cet arrêt du 18 juin, le Conseil Constitutionnel considère que cette situation est contraire au principe d’égalité. En pratique, cela signifie par exemple qu’un salarié, souffrant d’un handicap à la suite à un accident du travail, pourra désormais réclamer à son employeur par exemple l’indemnisation des frais d’aménagement de son appartement ou de son véhicule, ou encore, que la famille d’une victime décédée pourra demander l’indemnisation des frais d’obsèques.
Cet arrêt confirme la tendance des juridictions à élargir les droits des « victimes du travail »…
Effectivement, c’est une tendance que l’on observe depuis une dizaine d’années. Il faut dire que la loi qui encadre l’indemnisation des victimes du travail date du 9 avril 1898. Force est de constater qu’en cent ans, ce dispositif a évolué beaucoup moins vite que celui qui encadre par exemple les accidents de droit commun. Prenez les cas des accidents de la route ou des accidents médicaux ou encore celui des victimes d’un acte de terrorisme. Aujourd’hui, dans ces situations, la réparation des préjudices est intégrale ! Un décalage d’autant plus paradoxal que les accidents du travail sont perçus comme des accidents « nobles », puisque survenus alors que les victimes étaient au service du travail, de l’économie.
Quelles ont été les évolutions majeures depuis la loi de 1898 ?
Cette loi établissait une responsabilité de principe de l’employeur basée sur la présomption de l’imputabilité. En contre partie, les victimes étaient indemnisées forfaitairement de leur préjudice financier. Notamment, une rente forfaitaire leur était versée pour palier à la perte de gain. C’était un progrès considérable pour l’époque où il était difficile que les salariés engagent une procédure à l’encontre de leur employeur, considérant que « on ne mord pas la main qui vous nourrit ». Très rapidement, la notion de « faute inexcusable de l’employeur » est apparue dans le Code de la sécurité sociale.
Dans cette hypothèse, les victimes peuvent obtenir des dommages et intérêts complémentaires, en saisissant le Tribunal de sécurité sociale. Jusqu’au 28 février 2002, la définition de la faute inexcusable exigeait que les victimes démontrent, à la charge de leur employeur, « une faute d’une exceptionnelle gravité ». Autant dire que l’exercice n’était pas facile. Les procès de l’amiante ont bouleversé la définition de « faute inexcusable de l’employeur», puisque la Cour de Cassation a décidé que l’employeur était tenu, à l’égard de son salarié, « d’une obligation de sécurité de résultat ». Depuis lors, si le salarié parvient à démontrer que son employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver, il établira l’existence d’une faute inexcusable. Très rapidement, cette notion a envahi tout le champ du contrat de travail et donné lieu à de nombreuses condamnations.
L’arrêt Snecma, du 5 mars 2008, est d’ailleurs assez emblématique de ce droit à la santé au travail…
La Cour de cassation a, en effet, suspendu un projet de réorganisation au sein d’une entreprise au motif qu’il menaçait la santé et la sécurité des salariés. En conséquence, aujourd’hui, le droit de la santé au travail est susceptible de primer sur le pouvoir de direction de l’employeur. Cet arrêt s’inscrit dans une logique de prévention en suspendant une décision de l’employeur avant qu’elle n’ait des conséquences néfastes pour la santé.
La prévention des risques serait-elle devenue « plus rentable économiquement » que la réparation des préjudices ?
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