Analyse de Sébastien RAMAGE sur l’hypocrisie générale de l’organisation illégale de la précarité par le biais de la…sous-traitance. Comprendre la perversité des vides juridiques existants avec : le délit de marchandage et le prêt de main d’œuvre illicite pour mieux riposter ensemble…
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Retour sur le prêt illicite de main d’œuvre et comment lutter contre.
Vous croisez ces travailleurs et travailleuses au quotidien, vous n’avez sans doute pas remarqué un détail sur leur uniforme. Un logo, souvent tout petit, qui ne correspond pas à l’entreprise dans laquelle ils ou elles travaillent. Ce sont des « sous-traitants » ou plutôt des « sous-traités ».
En quelques années un ensemble de métiers ont été externalisés et précarisés à l’extrême. Agent-e-s de nettoyage dans les gares, centres commerciaux, hôpitaux, vigiles à l’entrée des magasins ou des bars, salariés des lingeries, des chantiers de construction, des livreurs… Ces métiers sont les moins qualifiés, les plus pénibles et dévalorisés. Et bien sachez que la majorité de ces situations de sous-traitance sont en fait… complétement illégales, voici quelques lignes pour apprendre à les déceler.
Le prêt de main d’œuvre illicite.
L’article L824-1 du code du travail interdit toute opération« à but lucrative ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’œuvre », la seule exception étant les contrats signés avec une entreprise de travail temporaire (interim). Une entreprise ne peut donc pas recourir à la sous-traitance et disposer à sa guise des salariés du sous-traitant.
En d’autres termes, l’entreprise d’accueil (le donneur d’ordre) a l’interdiction de donner des ordres aux sous-traitants, d’exiger des missions en dehors de la prestation qu’ils sont invités à réaliser. Les donneurs d’ordre ne peuvent même pas fournir les outils de travail puisque le sous-traitant est un intervenant extérieur. C’est aussi ce principe qui fait qu’une entreprise ne peut pas sous-traiter son cœur d’activité, la prestation du sous-traitant devant apporter une plus-value en termes de savoir-faire à l’entreprise utilisatrice.
Pour un travailleur, une relation de travail avec une entreprise doit forcément faire l’objet d’un contrat de travail avec celle-ci. Le prêt de main d’œuvre illicite caractérise donc une relation de travail envers une entreprise qui ne vous rémunère pas, à ce titre c’est une pratique pénalement répréhensible et votre contrat peut être requalifié en CDI au sein de l’entreprise utilisatrice.
Dans les faits, les barrières sautent.
Mais comment pouvez-vous travailler aux côtés de personnes toute la journée sans interagir de quelconque manière (professionnellement, vous avez le droit de vous dire bonjour tout de même) ? C’est tout simplement impossible, et c’est là que réside l’hypocrisie de ce système. Les salariés sous-traitants reçoivent en permanence des consignes de leur « donneur d’ordre » et interagissent avec les salariés de l’entreprise, dans le but de réaliser des tâches.
Dans mon précédent emploi dans un hôtel, l’agent de nettoyage (équipier) avait une ligne téléphonique directe avec la réception. Toute la journée nous lui demandions de réaliser des tâches pour les clients de l’hôtel. Cette situation correspondait parfaitement à la définition du prêt de main d’œuvre illicite. Comme la plupart des salariés, je n’avais aucune idée des règles de fonctionnement de la sous-traitance. C’est souvent cette méconnaissance qui créer les abus. Mon employeur lui, était parfaitement conscient des règles, mais a tout de même mis en place des procédures de travail dans lesquels le salarié sous-traité était considéré comme un membre à part entière de notre équipe.
Un exemple de magouille : la SNCF
Dans les années 2000 les entreprises ont commencé à massivement sous-traiter certaines activités, les salariés sous-traitants remplaçant des salariés autrefois embauchés en direct portaient alors les uniformes qui leur était fourni sur le site. La justice a fini par bannir cette pratique, la relation de travail étant facile à prouver quand le salarié porte l’uniforme du donneur d’ordre. Depuis, les salariés de la sous-traitance ont quasi systématiquement le logo de leur entreprise de sous-traitance sur leur uniforme.
Mais une entreprise a trouvé une combine pour contourner avec cynisme la loi, c’est la SNCF.
Les salariés du nettoyage y portent un gilet avec écrit en grand « SNCF PROPRETE», puis écrit en tout petit, juste en dessous, le nom du sous-traitant. Les usagers sont donc tous persuadés que les agents de nettoyage travaillent pour la SNCF, l’entreprise sur son site parle même des « équipes de nettoyage SNCF ».
Pour résumer ce sont donc des salariés qui travaillent dans des gares SNCF pour nettoyer des trains SNCF, avec un uniforme de la SNCF, mais ils ne bénéficient pas du statut de salarié de la SNCF et ces avantages…
L’exemple des agents de sécurité.
Eux n’ont théoriquement rien le droit de faire en dehors de la surveillance. Mais vous les verrez souvent dans les boutiques ou les hôtels, gérer l’accueil des clients, conseiller sur l’achat, informer sur les prix.
Un cas très rependu dans la grande distribution : l’aide à l’utilisation des caisses automatiques. Les ouvertures « sans salariés » le dimanche aggravent cette situation où le vigile devient en réalité le seul salarié présent sur site. C’est vers lui que les clients se tournent en cas de problème avec les caisses ou renseignement… on peut donc se poser la question, pour qui travaille ce salarié ?
Pour les clients de ces établissements en tout cas la question ne se pose pas. Ils identifient les agents de sécurité comme des salariés de la boutique. Ils auront donc tendance à venir les voir en cas de question.
L’exemple des femmes de chambre.
Dans l’hôtellerie, l’activité du nettoyage est systématiquement sous-traitée dans toute nouvelle ouverture d’hôtel, même dans le haut de gamme. Pourtant le nettoyage d’une chambre ne relève-t-il pas de l’activité principale d’un hôtel ? La chambre (propre) n’est-elle pas ce qui vous pousse à réserver dans un hôtel ?
Les entreprises de nettoyage expliquent qu’elles apportent une plus-value et un savoir-faire dans leur domaine. Pourtant leurs salariés ne sont pas ou très peu formés et sont systématiquement au plus bas niveau de qualification de leur grille de salaire. Si on considère le nettoyage des chambres comme une prestation pouvant être réalisée par des salariés non qualifiés, il n’y alors rien qui justifie de passer par un prestataire. Là encore les contacts avec la clientèle sont inévitables, et les interactions nombreuses, les femmes de chambre (ce sont essentiellement des femmes) contribuent donc à l’accueil hôtelier. Aucun hôtelier ne vous dira le contraire, pourtant elles ne sont reconnues que comme des agents de nettoyage.
Pourquoi la sous-traitance ? Facile, c’est moins cher !
Dans des grands groupes, les salariés obtiennent au fur et à mesure des négociations annuelles, des statuts collectifs supérieurs au minimum légal et tirent profits de convention collectives avantageuses quand les syndicats de la branche sont puissants. La sous-traitance permet de contourner ces statuts collectifs. Le gros de l’économie est fait par le recours excessif à des contrats précaires et flexibles. Temps partiels imposés, clause de mobilité, encadrement harceleur, ou alors corruption des syndicats de la propreté… Je ferais prochainement un article sur le sujet.
La précarité dans la sous-traitance est multifactorielle. Son modèle économique repose uniquement sur sa capacité à comprimer les salaries. Le système d’appel d’offre des donneurs d’ordre récompense l’entreprise qui exploitera le plus, et trouvera les meilleures astuces pour contourner le droit du travail. Dans ce contexte, le préjudice subi par les salariés est appelé délit de marchandage (L125-1 code du travail), c’est-à-dire que la mise en sous-traitance a pour seul objectif la dégradation du statut social.
La difficulté est de prouver le délit de marchandage et le prêt de main d’œuvre illicite.
La « légalité » de la sous-traitance repose essentiellement sur de la jurisprudence. La cours de cassation a tranché à plusieurs reprises que la notion de délit de marchandage ne pouvait être avancée tant qu’il n’y a pas une situation de prêt de main d’œuvre illicite. Le problème vient du fait que cette dernière est très difficile à prouver, là où le délit de marchandage est difficile à contester aux vues de la précarité des salariés des sous-traitants. La justice ne se base que sur des preuves incontestables, mais comment prouver les petites interactions du quotidien, les demandes des clients, l’utilisation du matériel du donneur d’ordre ?
Les stratagèmes patronaux pour contourner la loi circulent vite, aujourd’hui des milliards d’euros reposent sur des vides juridiques et l’état laisse faire.
C’est là que les syndicats ont un rôle important à jouer. Il faut absolument créer la solidarité entre salarié-e-s de la sous-traitance et salarié-e-s en interne. Cela permet de prouver les interactions quotidiennes à travers la rédaction d’attestations, de mener des enquêtes du CSE, de comparer les statuts sociaux, fiches de paie à l’appui et enfin de revendiquer ensemble.
Les syndicats doivent s’emparer de cette problématique, la division du travail et l’éclatement des équipes diminue le statut de l’ensemble des travailleurs et travailleuses. Il y a urgence à inverser cette tendance en adaptant nos structures ouvrières et revendications. Nos organisations syndicales ne doivent pas se calquer à l’organisation patronale du travail avec la logique « une entreprise un syndicat ». Nous devons concevoir l’entreprise comme une communauté de travail et lutter ensemble entre salariés « internes », salariés sous-traités, intérimaires, extras…
La CGT doit systématiquement revendiquer la fin de la sous-traitance partout où elle existe car elle en soit une source de précarisation des salarié-e-s.
Source : Le travail illégal est partout, dans votre quotidien ! – Sébastien Ramage