Il y a sept ans jour pour jour, pendant la catastrophe nucléaire de Fukushima, Naoto Kan était le Premier ministre du Japon. Depuis sa vie et ses convictions ont bien changé. Il vient en France ce lundi pour porter un message.
« Si tout se passe mal, un accident nucléaire a des conséquences bien plus terribles que la plus terrible des guerres », expose Naoto Kan d’une voix calme et posée. La sentence a le poids de l’expérience car celui qui parle était aux commandes lors du désastre nucléaire de Fukushima. C’est l’ancien Premier ministre japonais.
Comme la rock star des mouvements antinucléaires qu’il est devenu depuis 2011, Naoto Kan, aujourd’hui député (Parti démocrate constitutionnel), entame ce lundi une tournée française à l’invitation du réseau Sortir du nucléaire et d’Écho échange (voir ci-dessous). Et comme toutes les stars, l’interviewer n’est pas une mince affaire, encore faut-il négocier auprès d’assistants aussi charmants que zélés qui pèsent scrupuleusement l’importance de votre journal avant de vous accorder le droit à un entretien téléphonique.
Mais au bout du fil, le converti de la cause antinucléaire, âgé de 72 ans, est à la fois affable et sans langue de bois : il évoque son précédent voyage en France, il y a deux ans, il était déjà venu partager sa terrible expérience de Fukushima. « J’ai témoigné dans votre pays, aux Etats-Unis, en Angleterre, au Danemark, en Corée, à Taïwan en Pologne », énumère-t-il. Depuis qu’il a quitté le gouvernement, il a pris son bâton de pèlerin et multiplie les conférences, les rencontres : « Partout je porte le même message, il faut sortir du nucléaire ! »
«Je me suis dégoûté d’avoir eu confiance en nos installations »
Le 11 mars 2011 – il y a sept ans ce dimanche — un violent séisme sous-marin provoque un tsunami qui a son tour conduit à la fusion de trois des six réacteurs de la centrale de Fukushima Daiichi.
Classée avec Tchernobyl comme le pire accident nucléaire de l’histoire (au niveau maximum de l’échelle international INES), Fukushima aura des conséquences sur des générations. Aujourd’hui encore, Naoto Kan se rappelle chaque minute écoulée entre le 11 et le 15 mars, date à laquelle, on a pu dire que le pire était évité. Il les a retracées dans un livre*.
Mais c’est précisément deux semaines après avoir frôlé l’apocalypse qu’il est devenu un autre homme : « J’ai fait un revirement à 180 degrés, raconte-t-il. A vrai dire, je me suis dégoûté d’avoir eu confiance en nos installations nucléaires. » Tout a changé quand sur sa demande le secrétaire de sûreté nucléaire lui a révélé que, selon les simulations, l’accident aurait pu conduire à l’évacuation d’un rayon de 200 km autour de la centrale, y compris l’agglomération de Tokyo. « C’est-à-dire 50 millions d’habitants, c’est-à-dire 40 % de la population. Des habitants qui n’auraient pas pu rentrer chez eux avant 30 à 50 ans », insiste-t-il. Avec la menace d’une désorganisation totale des administrations et même la fin de l’Etat japonais.
Physicien de formation
« Naoto Kan, décrit comme un homme providentiel à son arrivée au pouvoir, représentait l’alternance. Il était loin du technocrate interchangeable », rapporte Catherine Cadou, interprète et fine connaisseuse de la gauche japonaise. Soixante-huitard, issu de la société civile, il a commencé sa carrière comme assistant d’une féministe. Mais il était pro-nucléaire, sans y penser en quelque sorte. « Comme tous les Japonais, j’étais convaincu du haut niveau technologie de mon pays », analyse-t-il avec le recul. Bien sûr, ce physicien de formation savait pour Tchernobyl en 1986, mais c’était en URSS, une puissance aux pieds d’argile.
On pourrait soupçonner Naoto Kan, animal politique à la longue carrière, de ne devenir un porte-voix des antinucléaires au niveau mondial que pour nourrir des arrière-pensées électorales nationales. N’empêche, il semble sincèrement marqué par l’expérience Fukushima : en août 2011, alors qu’il était au pouvoir depuis un an et deux mois, il avait accepté de démissionner seulement après avoir stoppé les 54 réacteurs nippons et fait adopter une loi pour encourager les investissements dans les énergies alternatives.
Ses conseils pour la France
A la veille de son arrivée dans l’Hexagone – le pays le plus nucléarisé au monde, avec 75 % de notre énergie qui provient de centrales -, le prêcheur du bout du monde veut croire que le gouvernement français pourra « non seulement réduire sa dépendance à l’atome, mais aussi développer les énergies renouvelables. D’autant que, précise-t-il, le coût du kW nucléaire n’est plus compétitif, notamment en raison des renforcements des normes depuis Fukushima ». A ce moment-là, le militant s’efface derrière le stratège politique.
Quand on lui rappelle que même dans son pays traumatisé, qu’on remet des centrales en service, il préfère remarquer qu’on en a ouvert que quatre en sept ans, alors que le Premier ministre Shinzo Abe en promet environ sept par an. « Et ce grâce aux manifestations, aux collectivités locales qui font parfois de la résistance passive et aux nombreux procès intentés par des associations contre l’industrie nucléaire », pointe-t-il avant de citer l’exemple de l’Allemagne. « Angela Merkel est sortie de l’atome pressée par son opinion », rappelle le militant.
En ce qui concerne la France, passer de 75 % à 50 % d’électricité issue de centrales, comme le promet le ministre de l’Ecologie, serait déjà « un premier pas ». Comme quoi on peut avoir vécu de l’intérieur l’une des plus grandes catastrophes de l’histoire, avoir frôlé l’apocalypse de l’histoire et rester optimiste.
* « My Nuclear Nightmare », Cornell University Press (non traduit en français)
Sa tournée en France Naoto Kan assistera ce lundi à Paris à la projection du « Couvercle du soleil », une fiction qui met en scène son personnage et retrace les cinq jours qui ont suivi Fukushima. Il est le lendemain à l’Assemblée nationale à l’invitation du groupe la France insoumise, qui organise une votation citoyenne sur la sortie de l’atome jusqu’au 18 mars.
Il fait ensuite le tour du nucléaire français en se rendant notamment devant le site de la centrale de Flamanville (Manche), aux côtés d’ONG antinucléaires historiques. Puis il enchaîne sur la Hague.
Source : Fukushima : Naoto Kan, le repenti du nucléaire, en tournée en France – Le Parisien