Quand la droite et les organisations patronales veulent agiter le chiffon rouge des 35 heures, elles ne manquent pas de mettre en avant son coût pour le budget de l’Etat.
Même un éditorialiste aussi respectable qu’Alain Duhamel annonçait il y a peu que le coût des 35 heures était de 20 milliards en 2010 ! Or plus de dix ans se sont écoulés depuis les lois Aubry, avec des modifications législatives qui rendent impossible aujourd’hui l’attribution des aides de l’Etat à la seule mise en œuvre des 35 heures.
Rappelons donc un peu d’histoire : le gouvernement Juppé avait institué une réduction régressive des cotisations patronales de sécurité sociale sur les bas salaires ; puis les lois Aubry sur la réduction sur la durée du travail à 35 heures ont été accompagnées d’aides incitatives forfaitaires, conditionnées par la négociation d’entreprise conclue sur la durée du travail, son organisation et les contreparties en emplois.
La droite revenue au pouvoir, en 2003 rompt de trois façons avec ce dispositif : elle supprime le lien entre aide financière et négociation effective ; elle transforme l’aide forfaitaire, plus avantageuse pour les entreprises à bas salaires, en un allégement des cotisations sociales. Dorénavant existe un régime unique et automatique de réduction de 26 % des cotisations patronales de sécurité sociale au niveau du SMIC ; il s’applique à toutes les entreprises ; cet abattement se réduit progressivement jusqu’à s’annuler totalement pour les salariés à 1,7 SMIC. Ce seuil a été ramené depuis le 1er juillet 2005 à 1,6 SMIC. Le tout coûte au budget de l’Etat 22 milliards en 2010. Décision récente, le calcul des allégements de charges devrait dorénavant intégrer les 13è mois et autres primes annuelles dans l’évaluation du niveau de salaire moyen, ce qui va entraîner des économies d’ensemble de 2 milliards par an et bloquer les dérives sur ce terrain.
Au total, l’effet emploi de ces dispositions demeure discuté : un certain consensus existe pour estimer qu’au moins jusqu’à 1,3 SMIC, ce dispositif a permis à l’emploi peu qualifié d’augmenter (ou d’être préservé), à hauteur de 400 000 emplois, surtout dans les petites entreprises. Mais il est aussi critiqué pour ses autres conséquences : incitation à une politique générale de bas salaires et au maintien d’emplois dont on ne prend pas en charge l’objectif d’amélioration des qualifications. D’où des propositions de la Cour des comptes ou de parlementaires de créer une dégressivité lorsqu’aucun accord salarial d’entreprise n’est intervenu dans les deux années précédentes, d’une diminution du plafond à 1,3 SMIC, d’un retour à la forfaitisation, d’une concentration sur les entreprises de moins de 20 salariés, voire un arrêt définitif étalé sur plusieurs années.
Déjà, l’exonération totale des cotisations patronales pour les embauches dans les entreprises de moins de dix salariés, instaurée dans le cadre du plan de relance pour 2009, devrait être supprimée fin juin 2010 : elle aura coûté 700 millions d’euros avec un impact négligeable sur la création d’emplois, voire un effet négatif sur les contrats aidés. Il est vrai que cela représentait seulement pour l’entreprise une économie de 185 euros par mois pour un salarié au SMIC à plein temps. Ceux qui la défendent affirment qu’elle a permis de limiter la destruction d’emplois dans un contexte financier et économique difficile.
Enfin, l’exonération des heures supplémentaires pour inciter au développement de l’usage des heures supplémentaires, dont les quotas par salarié ont été augmentés, coûte près de 3 milliards d’euros et relève aussi des allégements généraux de cotisations sociales.
Ainsi, le total des allégements généraux de cotisations sociales tourne autour de 25 milliards en 2010, sommes qui devraient être remboursées à la sécurité sociale par l’affectation d’un ensemble de taxes (pas moins de 14, prélevées notamment sur les salaires, les alcools et le tabac).
Mais, dans la pratique, la sécurité sociale perd des recettes, car il existe, en outre, des dispositifs dits d’ « exonérations ciblées » attachées à des mesures particulières. Le rapport sur la loi de financement de la sécurité sociale évalue à 68 le nombre de mesures en application (ou en voie d’extinction) qui ne sont pas toujours financées en compensation pour la sécurité sociale. Il s’agit d’abord une trentaine d’ « exonérations ciblées compensées » (pour 3,5 Milliards) sur le budget de l’Etat : elles encouragent, par exemple, les entreprises implantées dans les DOM, le régime microsocial, en passant par le contrat d’apprentissage ou le contrat initiative emploi. Comme l’Etat a pris du retard dans ses remboursements au fil des années, il doit actuellement 3,5 milliards aux régimes de sécurité sociale. Mais il existe d’autres « exonérations ciblées non compensées » par des versements du budget de l’Etat, qui représentent près de 2,7 milliards en 2010, essentiellement pour les aides à domicile, des contrats aidés et l’aide aux chômeurs créateurs d’entreprises. Enfin, une quinzaine de mesures sont des exemptions d’assiettes : elles entraînent des pertes de recettes potentielles de 9 milliards pour la Sécurité sociale. Ces exemptions concernent principalement la participation financière et les stock-options, la protection sociale complémentaire en entreprise, les titres restaurant et avantages consentis aux comités d’entreprises, les indemnités de rupture.
Pour l’anecdote, en ces temps où l’équipe de France de football a défrayé la chronique, on trouve dans cet inventaire les exonérations pour les arbitres et les juges sportifs ainsi que la niche du droit à l’image pour les sportifs !
Au total, l’ensemble des allégements de cotisations sociales et exonérations ciblées, compensées ou non, représentent plus de 40 milliards d’euros, dont les deux tiers n’ont pas de rapport avec les 35 heures.
source : http://www.clesdusocial.com/mois-social/mois-social-10/18-economie/exoneration-charges-sociales.htm