Promis, juré – et malgré un calendrier toujours « tendu » – cette fois-ci, le réacteur nouvelle génération de Flamanville ouvrira bien dans un an… Sûr ? Notre reportage.
«Ils ne sont pas prêts.» Lundi matin, au sortir d’un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la centrale, les syndicalistes de la CGT sont circonspects. Les agents EDF viennent de visiter le futur Centre de crise local (CCL), un des équipements « post-Fukushima » dont la vocation est d’assurer la gestion des crises. « Ils sont censés être opérationnels dans deux semaines, mais on en est loin… »
Après sept ans de retard et un coût de construction qui a triplé pour atteindre 10,5 milliards d’euros, la mise en service de l’EPR, ce réacteur nucléaire nouvelle génération en construction à Flamanville, est prévue en mai 2019. L’objectif est de pouvoir charger le combustible dans la cuve au mois de décembre.
Dans ce coin de Cotentin dévolu à l’atome, où il y a déjà deux réacteurs ancienne génération, il y a foule pour l’embauche à l’accueil. En ce moment, pas moins de 4500 ouvriers venus de centaines d’entreprises sous-traitantes y travaillent tous les jours. Français, mais aussi Polonais, Portugais ou Roumains font la queue ou consultent les brochures déclinées dans leur langue. Derrière les grilles d’enceinte de huit mètres de haut hérissés de piques, c’est un incessant ballet d’engins, bus de travailleurs ou camions de matériaux.
On rentre dans la centrale après le passage de tourniquets surmontés de barbelés grâce à un badge. La « culture de la sécurité » commence dans les toilettes : pas moins de deux affiches EDF détaillent par le menu la meilleure manière de se laver les mains… Grippe et contamination, même combat !
À l’intérieur, c’est une véritable ruche aux abeilles casquées portant chasubles jaune fluo. Il y a des panneaux « Priorité sécurité » et « Respecter l’ordre et la propreté » partout. Pour cette dernière injonction, ce n’est pas encore ça : le futur fleuron du parc français ressemble encore à une usine à gaz, dans un capharnaüm de câbles, gaines ou pièces métalliques éparses. S’il n’y a pas encore de combustible, les matelas de plomb sont déjà omniprésents.
Après les premiers essais « à froid », lancés en décembre dernier et avoir éprouvé l’étanchéité de la tuyauterie, les équipes techniques vont tester celle de tout le bâtiment réacteur. Cette « épreuve enceinte » doit être réalisée cette semaine. Il s’agit d’injecter 11 000 m3 d’air par heure dans l’enceinte de 80 000 mètres cubes pour y faire monter la pression jusqu’à 6 bars. Pour cela, pas moins de huit compresseurs représentant 4 mégawatts – alimentés au fuel rouge – sont nécessaires. C’est donc peu dire que l’ingénieur pilote de l’opération et la quarantaine de personnes qui y travaillent a la pression. « C’est le test le plus important avant les « essais a chaud » prévus en juillet, une sorte de répétition générale… » Henri Ansquer donne le change, assurant la visite au pas de charge, mais décontracté. Le jeune ingénieur qui pilote l’épreuve était présent pour ce même test en Chine il y a quelques semaines, où un premier EPR est sur le point de démarrer. Ce sera une première en France et il apprécie « le challenge de ce nouveau produit ultra-valorisant ». Il faut dire qu’il est tombé dedans quand il était petit : « Je passais régulièrement avec mes parents devant une centrale… Cette « machine à nuages » me faisait déjà rêver ! »
La visite se poursuit dans le saint des saints, le bâtiment réacteur, 28 mètres plus haut et accessible uniquement par un escalier. Dans cette cathédrale industrielle, le réacteur, la piscine à sec et l’impressionnant pont polaire de manutention, capable de déplacer des charges de 320 tonnes.
Contrairement à l’extérieur, l’endroit est aussi propre et rangé qu’un bloc opératoire. Il faut dire que lors d’une visite de l’Autorité de surveillance du nucléaire (ASN) le 1er mars dernier, les inspecteurs ont « noté que la tenue de nombreux chantiers des locaux de l’îlot nucléaire était perfectible (locaux empoussiérés, outils et divers objets épars au sol) », une « situation préoccupante à quelques semaines du début de l’épreuve de réception initiale de l’enceinte de confinement, qui exige un bon état de propreté ».
« Confiance en EDF »
La centrale avait un mois pour nettoyer ce bâtiment réacteur. Ce qui a été fait. Mais le contexte reste tendu pour ce chantier qui a accumulé les déboires : les problèmes découverts récemment sur le couvercle de la cuve – qui devra être changé avant 2024 quand c’est normalement tous les 20 ou 30 ans – ou sur les soudures du circuit secondaire laissent planer une incertitude sur l’autorisation que pourrait donner – ou pas – l’ASN, le « gendarme » du nucléaire.
Sébastien Lecornu, « second » de Nicolas Hulot et ancien président du conseil départemental de l’Eure, en visite sur le site de l’EPR au début du mois de février, avait pourtant déclaré : « Je fais confiance à EDF. »
À quelques jours de l’ouverture du débat public sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui s’annonce musclé, rappelons qu’Areva a été recapitalisée par le contribuable, avec une augmentation de capital de 5 milliards d’euros de l’État l’été dernier, qui a permis au groupe d’éviter la faillite. À l’époque, Bruno Le Maire avait dénoncé « une gestion scandaleuse et indigente des deniers publics »...
Jeudi dernier, Naoto Kan, premier ministre japonais au moment de la catastrophe de Fukushima, était en visite à Flamanville avec un message : « Il faut arrêter le nucléaire et se tourner vers les énergies renouvelables ». L’ex-pro nucléaire n’a été reçu ni par des élus ni sur le chantier. Où il reste encore de la place pour un éventuel deuxième réacteur EPR.
Les échos
« Aléas » récents
– Dimanche dernier : Orano (ex-Areva), qui construit l’EPR en Finlande – un chantier qui accuse lui aussi des années de retard – a annoncé le versement d’une compensation de 450 millions d’euros à l’électricien finlandais.
Ailleurs
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Des contrôleurs rassurants, des experts inquiets
Joce HUE |
Source : Réacteur nucléaire EPR de Flamanville : Le compte à rebours de l’horloge atomique