Merci à Charlotte MIJEON d’évoquer la situation dégradée des conditions de travail des salarié-es de la sous-traitance…2 autres articles qui traitent de santé au travail, bon visionnage et bonne lecture à toutes et tous…n’oubliez jamais que des salarié-es bien informés sont de fait des citoyens responsables 😉
Chaque mois, Écrans publics propose de débattre autour de documentaires qui interrogent les politiques publiques. Ce mois ci, la diffusion du documentaire Nucléaire, l’impasse française, de Patrick Benquet, a été l’occasion d’échanger autour de cette question : « Quel avenir pour le nucléaire en France ? ». Un débat animé par Adeline Baldacchino, haute fonctionnaire et écrivaine, avec Maruan Basic, chargé d’affaires publiques à la Société française d’énergie nucléaire, Charlotte Mijeon, porte parole du réseau Sortir du nucléaire, et le réalisateur
Patrick Benquet.
Publié le : mardi 23 avril 2019
Source : Débat : Quel avenir pour le nucléaire en France ? – Acteurs publics TV
D’anciens ouvriers du nucléaire sur l’île Longue victimes de cancers
Plusieurs ouvriers qui ont travaillé sur des sous-marins nucléaires dans la rade de Brest se battent aujourd’hui pour la reconnaissance de leurs cancers en maladies professionnelles.
Par la rédaction d’Allodocteurs.fr
Rédigé le
Quand on parle des victimes des bombes nucléaires, on pense souvent aux victimes des bombardements. Mais pas forcément à ceux qui ont fabriqué ces armes. C’est le cas d’anciens ouvriers de l’île Longue.
Située au large de la rade de Brest, dans le Finistère, il s’agit d’une base opérationnelle pour les sous-marins nucléaires français. Environ 150 ouvriers témoignent y avoir travaillé de 1972 à 1996 sans aucune protection. Pendant 25 ans, on leur a fait croire disent-ils, qu’ils ne craignaient rien. Aujourd’hui, plusieurs d’entre eux sont tombés malades, d’autres sont décédés… Ces anciens salariés se battent aujourd’hui pour la reconnaissance de leurs maladies.
Des ouvriers sans protection
Créée en 1970, l’île Longue est la base des sous-marins nucléaires français, véritables forces de dissuasion en temps de guerre froide. Ces hommes ont écrit une page de cette histoire. Pendant des années, ils ont assemblé les têtes nucléaires des missiles. Aujourd’hui, la réalité les rattrape, beaucoup sont tombés malades.
Louis Suignard avait à peine 50 ans quand il a déclaré un cancer de la prostate à un stade très avancé : « Personne ne pensait que c’était dangereux parce qu’on disait que ça n’émettait pas plus que du bois. On a été vraiment naïfs de croire ces personnes qui n’ont fait que nous mentir« , regrette l’ancien mécanicien. Pour Francis Talec de l’association Henri Pézerat, il s’agit presque d’un « acte criminel d’avoir laissé les travailleurs sans protection pendant 25 ans« .
Les retraités de l’île Longue reprochent à l’Etat d’avoir travaillé sans aucune protection et dans l’ignorance totale des risques encourus pour leur santé. Leur mission consistait à assembler les têtes nucléaires. Tous disent avoir travaillé à mains nues et équipés d’un simple bleu de travail.
Bras de fer avec l’État
Le collectif des irradiés de l’île Longue a comptabilisé 29 cas de cancers, notamment de la vessie, de l’oesophage et plusieurs leucémies. Les victimes sont toutes issues du même atelier : la pyrotechnie. Un chercheur de l’université de Bretagne mène une étude sur les anciens salariés. Il a recensé 155 personnes potentiellement exposées aux rayons sans le savoir : « C’est clairement une désinformation concernant les conditions de travail (…) Et c’est assez étonnant qu’avec des produits radioactifs, on n’ait pas pris des précautions minimales« , s’interroge Jorge Munoz, sociologue.
La situation aurait ainsi perduré jusqu’en 1996, date à laquelle des mesures de protection ont été mises en place. Le ministère des Armées, contacté par nos soins, maintient avoir appliqué les mesures de prévention liées au risque radioactif et sensibilisé les travailleurs sur les risques encourus. C’est donc un bras de fer qui est engagé entre l’Etat et l’avocate des victimes. Elle se bat pour faire reconnaître les pathologies comme maladies professionnelles et a déjà obtenu gain de cause pour certains cas.
« A l’évidence, l’Etat est responsable de cette situation. Ce qu’on appelle un manquement à l’obligation de sécurité de résultat. C’est-à-dire qu’il avait conscience ou aurait dû avoir conscience des risques auxquels étaient exposés ses ouvriers. Il n’a pas mis en oeuvre les moyens suffisants pour le protéger. Et pour preuve, plusieurs cas d’expositions et de maladies liées à cette exposition, l’Etat a reconnu d’office sa responsabilité. Et lorsqu’il ne le faisait pas de lui-même, nous avons obtenu sa condamnation dans le cadre d’action en faute inexcusable de l’employeur qui avait été initiée devant les juridictions de sécurité sociale« , explique Me Cécile Labrunie, avocate des irradiés de l’île Longue.
Une douzaine d’ouvriers seraient décédés à ce jour des suites d’un cancer lié à ces expositions. Le collectif des irradiés de l’île Longue se bat aussi pour ceux qui sont encore en bonne santé, victimes selon lui d’un préjudice d’anxiété.
« La domination au travail est beaucoup plus dure qu’avant »
Psychiatre et psychanalyste, Christophe Dejours est professeur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM, Paris), titulaire de la chaire Psychanalyse-Santé-Travail et directeur de recherche à l’Université Paris V. Auteur d’une œuvre abondante sur le monde du travail et les pathologies associées, il dénonce l’avènement des « gestionnaires » dans les années 1980, qui a, dit-il, eu des effets catastrophiques sur la qualité du travail et les pathologies qui en découlent. « En entreprise, si l’exigence de performance devient insoutenable, le risque d’effondrement collectif existe », prévient-il.
Vous êtes un spécialiste des rapports entre l’homme et le travail. Et notamment de la psychodynamique du travail. De quoi s’agit-il?
C’est une discipline née de la rencontre entre la psychopathologie du travail et l’ergonomie. Elle cherche à comprendre comment les travailleurs parviennent à maintenir intègre leur santé mentale malgré une organisation du travail souvent nuisible… On a ainsi découvert que la normalité est le résultat d’un compromis entre, d’un côté, des contraintes délétères pour le psychisme – qui peuvent conduire à la maladie mentale – et, de l’autre, la construction de stratégies de défense.
Cette conception de l’organisation du travail basée sur la domination, le contrôle, la sanction (donc la peur), est évidemment nuisible pour la santé mentale car le travailleur y perd sa subjectivité, sa créativité, sa maîtrise des moyens, le sens de ce qu’il fait.
Ce qui est néfaste pour le psychisme, c’est la contrainte venant de l’organisation du travail. Et cette contrainte est double. Il y a d’un côté la division technique des tâches qui font l’objet de prescriptions très strictes. Et de l’autre une division politique du travail, à savoir un système de surveillance et de sanctions qui est une nouvelle contrainte.
Depuis Taylor et Ford, l’organisation du travail est essentiellement politique. Taylor compare littéralement l’ouvrier à un chimpanzé qui doit se conduire comme tel. C’est l’obéissance absolue. Cette conception de l’organisation du travail basée sur la domination, le contrôle, la sanction (donc la peur), est évidemment nuisible pour la santé mentale car le travailleur y perd sa subjectivité, sa créativité, sa maîtrise des moyens, le sens de ce qu’il fait. Travailler, c’est bien plus qu’exécuter des tâches. C’est une transformation de soi.
Mais depuis Taylor et Ford, l’organisation du travail a sacrément évolué…
Une nouvelle forme d’organisation du travail apparaît dans les années 1980, celle des gestionnaires. Jusque-là, l’organisation du travail était l’apanage des gens du métier. Les directeurs d’hôpitaux, par exemple, étaient médecins.
Mais ils ont été remplacés par des gestionnaires qui ne connaissent rien des métiers. Ils réduisent le travail à un ensemble de tâches purement quantifiables et dont la performance est chiffrable. À travers ces dispositifs, ils ont instauré ce que le juriste Alain Supiot appelle la « gouvernance par les nombres« . Celle-ci détruit tout ce qui était vital au travailleur: les règles et valeurs propres de son métier. Cette méthode gestionnaire détruit aussi volontairement toute coopération. Ce qui a pour conséquence une dégradation de la qualité et de l’efficacité.
Ce qui fait la force incroyable du système, c’est que la majorité des travailleurs vivent dans cette situation de servitude volontaire – et donc de malheur – parce qu’ils y consentent, pensant que c’est la seule bonne façon de faire.
Ces gestionnaires ont inventé des techniques nuisibles pour la santé psychique. C’est le cas de l’évaluation individualisée des performances qui introduit la compétition entre les travailleurs et détruit la solidarité. C’est le cas aussi de la précarisation de l’emploi: partout des contrats durables sont remplacés par des CDD et l’intérim. Cette précarité qui augmente développe aussi un sentiment de précarisation chez ceux qui ont une position stable: ils comprennent qu’ils sont menacés eux aussi.
Il y a aussi la standardisation des modes opératoires qui facilitent le contrôle quantitatif. Or une infirmière, par exemple, ne peut pas traiter de la même manière deux patients atteints d’une même maladie. Si elle s’y trouve contrainte par la standardisation, son travail perd son sens.
Il y aurait également beaucoup à critiquer sur la prétendue « qualité totale » car dans les faits elle est impossible. Dans le but d’obtenir le graal de la certification, on fait pression sur les travailleurs pour qu’ils mentent dans leurs rapports…
Le tournant gestionnaire a donc des effets catastrophiques sur la qualité du travail. Mais la communication officielle travestit la réalité avec une telle efficacité que cette dégradation est masquée.
La domination au travail est donc beaucoup plus dure qu’avant. Elle a changé complètement le monde du travail et même toute la société. Pour le dire autrement, les gens sont soumis. En Europe, les contre-pouvoirs, les syndicats, ont fondu. Ce qui fait la force incroyable du système, c’est que la majorité des travailleurs vivent dans cette situation de servitude volontaire – et donc de malheur – parce qu’ils y consentent, pensant que c’est la seule bonne façon de faire. On nous apprend dès l’école primaire que le bien et le vrai, c’est ce qui est scientifiquement quantifiable. Mais c’est faux.
Et donc ce « tournant gestionnaire » comme vous dites génère de nouvelles pathologies?
Oui, les impacts psychopathologiques sont colossaux, jusqu’au suicide sur le lieu de travail. Ca n’existait pas avant. Il y en a même dans le secteur public, y compris à l’Inspection du Travail! Ils existent partout dans le monde et sont en croissance mais ils font l’objet d’une conspiration du silence.
Il est difficile d’expliquer un suicide. La souffrance éthique en est l’une des causes principales. Soumis à ces impératifs d’objectifs, le sujet doit brader la qualité au profit de la quantité. Mais dans de nombreux métiers, brader la qualité, c’est très grave. Pensez au magistrat qui doit juger cinquante affaires en quelques heures alors que sa décision engage la vie des gens. Il en vient à faire le contraire de ce pour quoi il est devenu juge.
Partout, on est rendu à cette situation où il faut concourir à des actes et à une organisation que le sens moral réprouve. Cette souffrance éthique est celle qu’on éprouve à trahir les règles du métier, ses propres collègues et le client. Et finalement on se trahit soi-même. Cette trahison de soi dégénère en haine de soi, ce qui peut déboucher en suicide sur le lieu de travail.
Le suicide représente le stade ultime de la souffrance au travail mais les pathologies liées au travail sont devenues très nombreuses et variées…
De fait. On assiste à l’explosion des pathologies de surcharge. En France, plus de 500. 000 personnes sont indemnisées pour troubles musculo-squelettiques. Mais il y a aussi le burn-out; ou encore le karôshi, « la mort subite par surcharge de travail« . Il s’agit d’une hémorragie cérébrale chez des gens qui n’ont aucun facteur de risque. Ils meurent à 35-45 ans, sur le lieu de travail, le plus souvent par rupture d’anévrisme ou accident vasculaire cérébral. C’est fréquent.
Parallèlement, le dopage s’est considérablement développé. Cocaïne et amphétamines sont utilisées dans de très nombreux métiers, y compris chez les avocats d’affaire, les banquiers, les cadres. Beaucoup ne peuvent tenir qu’en se dopant. Sur les chaînes de montage, des ouvriers sniffent devant tout le monde pour tenir les cadences. Et personne ne dit rien.
N’oublions pas également que comme il n’y a pas d’étanchéité entre travail et non-travail, les souffrances professionnelles ont des conséquences dommageables immédiates sur la vie de famille, les loisirs et même la vie dans la Cité dans la mesure où l’on a tendance à s’y comporter comme au travail: chacun pour soi.
On peut se demander si un tel système ne risque pas de s’effondrer – puisqu’il ne fonctionne que par le concours des travailleurs.
En outre, les stratégies de déni ont un effet de désensibilisation qui conduit à une banalisation de l’injustice: si je nie ma propre souffrance, je ne peux pas reconnaître celle des autres. C’est un retournement sinistre: pour tenir individuellement, on aggrave le malheur social.
Dans ce contexte, on peut se demander si un tel système ne risque pas de s’effondrer – puisqu’il ne fonctionne que par le concours des travailleurs. Les cas d’effondrement moral existent. Durant la guerre du Vietnam, par exemple, des régiments entiers ont dit: « Fini! On n’avance plus!« , quitte à être tués – quand ils ne tuaient pas leurs propres officiers. En entreprise, si l’exigence de performance devient insoutenable, le risque d’effondrement collectif existe aussi.
Vous militez d’autant plus pour une politique émancipatrice du travail…
Oui, souffrir au travail n’est pas une fatalité. Le travail peut clairement être un médiateur dans l’accomplissement de soi. Pensez au pilote de chasse ou au reporter: la réalisation de leur mission repose entièrement sur leur génie. C’est le cas aussi pour les métiers, les fonctions où le travailleur contrôle à la fois les moyens et les conditions de sa tâche, voire l’intégralité du processus. Le travail de l’artiste l’illustre fort bien, mais on peut aussi citer les professions libérales.
Il faut passer d’une politique de l’emploi à une politique du travail.
La coopération est un autre facteur clé. Naguère, dans les services hospitaliers, des réunions hebdomadaires conviaient tout le personnel – y compris les femmes de ménage – à s’exprimer sur la manière d’aider, de traiter les patients. L’émancipation par le travail dépend donc de son organisation. Il faut des collectifs de travail mais aussi une autonomie de penser.
J’ai accompagné des entreprises qui voulaient aller dans ce sens. Les managers ont délaissé les systèmes d’évaluation quantitative pour mettre en avant le travail vivant et la coopération. Eh bien, je peux prouver que ces entreprises ont gagné en productivité, en compétitivité et bien sûr en plaisir à travailler! Et aucune naïveté là-dedans.
Il faut donc passer d’une politique de l’emploi à une politique du travail – si l’on veut, notamment, réduire les coûts croissants de ces pathologies qui atteignent jusqu’à 3% du PIB selon des études internationales. Mais aussi pour réenchanter la vie des travailleurs!
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