Les députés ont créé une commission d’enquête pour entendre EDF, les experts scientifiques ou les agents de la Défense, sur la sécurité et la sûreté nucléaire. Quels seront leurs moyens et leurs prérogatives ? Explications de Barbara Pompili, députée LREM de la Somme.
Sur une proposition de Barbara Pompili, députée LREM de la Somme, l’Assemblée Nationale a validé, le 31 janvier 2018, la création d’une Commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires. Une trentaine de députés s’intéresseront ainsi aux risques d’intrusion, à la sûreté des installations vieillissantes ou au coût de la filière. Quels seront leurs pouvoirs et leurs missions face à l’exploitant ? Comment leurs enquêtes s’articuleront-elles avec celles des experts scientifiques de l’Autorité de sûreté nucléaire ? Ne risquent-ils pas de doublonner avec les travaux des parlementaires déjà chargés de l’évaluation de nos choix scientifiques et techniques ? Quels moyens auront-ils pour mener leurs travaux alors que certaines informations sont classées « secret défense » et comment en rendront-ils compte aux citoyens ? Barbara Pompili éclaire ces questions pour Sciences et Avenir.
Sciences et Avenir : Vous avez souhaité créer une Commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires pour sortir « de l’opacité sur le nucléaire ». Pourriez-vous préciser votre pensée ? Quels moyens allez-vous mobiliser pour cela ?
Barbara Pompili : L’énergie nucléaire, bien que prédominante dans notre mix électrique, reste opaque pour de nombreux citoyens, mais également pour de nombreux décideurs politiques. On sait que la production nucléaire expose à des risques bien différents de ceux d’autres sources d’énergie, si l’on pense notamment à plusieurs catastrophes qui ont eu lieu au 20e et 21e siècles. Les conséquences d’accidents nucléaires ou d’attaques sur des installations peuvent être très graves et avoir de lourdes conséquences sur le long terme. Pourtant, dans le débat public, on n’aborde pas ou très peu ces questions-là, sans doute également car elles mettent mal à l’aise, notamment car il reste de nombreux points d’incertitudes.
L’intérêt d’une commission d’enquête parlementaire est multiple, notamment car elle émane de la représentation nationale : elle permet, en procédant à des auditions notamment, de rendre un certain nombre d’informations publiques, car in fine c’est bien le consommateur d’électricité et le contribuable qui financent la centrale et sa sécurité, il a donc le droit d’être informé. Par ailleurs, cette commission sera également très utile pour de nombreux parlementaires, dont je fais partie, qui ne connaissent pas parfaitement cette question-là, ce que l’on ne peut pas leur reprocher.
« EDF et l’ASN peuvent tenir des propos différents sur des mêmes faits physiques, comme l’épaisseur des murs de piscines de refroidissement »
Que peut apporter une telle commission par rapport à l’ASN (Autorité de Sûreté nucléaire) qui auditionne des experts et des exploitants et rend ses avis publics ?
La commission d’enquête a des pouvoirs forts, notamment car les acteurs appelés à être auditionnés sont obligés de témoigner, et le font sous serment. Il existe bien sûr l’ASN, qui fait un travail considérable et précieux, mais la représentation nationale a également un rôle à jouer. Si les parlementaires ne se saisissaient pas des sujets déjà traités par une Autorité, alors aucun sujet ne serait traité à l’Assemblée Nationale. L’intérêt de cette commission d’enquête est également d’avoir un regard neuf et différent de celui de l’ASN.
Je souligne ici que lors de plusieurs auditions au sein de la commission développement durable et aménagement du territoire, l’opérateur historique EDF et l’ASN ont tenu des propos différents sur des mêmes faits physiques (par exemple sur l’épaisseur des murs de piscines de refroidissement). Cela nous a paru inquiétant, et il est intéressant de pouvoir se pencher sur de telles divergences de points de vue à propos de faits qui devraient être consensuels. Cela pose notamment la question importante de savoir si l’ASN a les moyens de travailler correctement.
Comment votre travail va-t-il s’articuler avec celui de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST), dont le premier vice-président est le député LREM Cédric Villani, et dont les auditions et rapports sont également rendus publics ?
Le travail de la commission d’enquête va évidemment s’articuler avec celui de l’OPECST, qui a été informé dès le début de nos démarches, afin d’y participer. Une fois de plus, notre commission d’enquête n’aura pas le même angle d’attaque ni les mêmes méthodes, étant donné aussi qu’elle se déroule sur un temps plus court et donc un format plus concentré.
Les résultats de cette commission d’enquête et les recommandations qui seront faites devraient également s’articuler avec la préparation et la publication de la PPE (Programmation pluriannuelle de l’énergie) donc pourraient avoir un impact différent de celui de l’OPECST qui travaille sur du long terme, ce qui est également absolument nécessaire.
« Attentats, contaminations : le nucléaire est un sujet de préoccupation pour les Français »
Sur la sécurité, comment votre enquête va-t-elle s’organiser face aux agents de la défense, qui évaluent la menace, et face aux agents de police ou de gendarmerie qui enquêtent sur les intrusions ?
Les acteurs de la défense seront entendus par la commission d’enquête, pour certains à huis-clos car certains éléments ne peuvent être diffusés au public, pour une question évidente de secret-défense. Il est justement très intéressant de travailler sur la sûreté et la sécurité au sein de la même commission, les deux sujets se rejoignant en plusieurs points. C’est un des intérêts majeurs de cette commission.
Selon le règlement de l’Assemblée Nationale, vous ne pourrez pas vous saisir de faits qui font ou ont déjà fait déjà l’objet d’enquêtes judiciaires, comme les intrusions de Greenpeace à Cattenom à la fin de l’année dernière, mais aussi l’explosion de la centrale de Flamanville en février 2017, ou encore la violation des règlements techniques à Civaux en 2014 ?
En réalité, l’article 139 du règlement de l’AN dit qu’une commission d’enquête ne peut enquêter sur des faits qui font l’objet d’enquête judiciaire, et ça n’est pas l’intention de la commission. En effet, nous travaillerons sur la possibilité de ce type de faits, mais pas sur ces faits eux-mêmes.
Ne mélangeons pas les rôles ! Une enquête judiciaire vise à établir les responsabilités et prononcer des sanctions, une commission d’enquête parlementaire émet des recommandations. A noter que la plupart des commissions d’enquêtes s’ouvrent à la suite de faits d’actualités (attentats, contaminations…), ce qui est normal car certains sujets deviennent des sujets de préoccupation pour les Français, d’où le fait que la représentation nationale s’en saisisse.
Quelles sont les prérogatives et les marges de manœuvre qui vous restent alors ? Que peut apporter une telle commission au débat public ?
Cette commission est une première, et sert de nombreuses causes. Mettre tout le monde autour de la table (notamment pro et anti-nucléaires) afin de discuter d’un sujet qui nous concerne tous, sans pour autant se prononcer pour ou contre l’énergie nucléaire ; écouter tous les grands acteurs concernés, que ce soit du côté des pouvoirs publics, des entreprises ainsi que les ONG qui travaillent depuis longtemps sur ces sujets, afin d’en faire une synthèse qui nous aidera à mieux comprendre ces aspects très techniques qui nous dépassent presque tous ; informer le public et les décideurs sur les réalités de nos installations, car que l’on soit pour ou contre l’énergie nucléaire, avec 58 réacteurs en France ainsi que nombreuses autres installations (laboratoires, déchets etc.) nous sommes tous concernés par leur bon fonctionnement ; éclairer le gouvernement au sujet des investissements à réaliser pour répondre aux enjeux de sécurité et de sûreté (notamment sur le prolongement au-delà de 40 ans sur la mise en place des normes post-Fukushima), et notamment au niveau de leurs coûts au moment où des choix importants sont à faire, avec la programmation pluriannuelle de l’énergie (qui décidera notamment de la fermeture ou non de centrales, NDLR).
Des réunions seront-elles ouvertes au public et/ou à la presse ?
Certaines auditions liées à sécurité sur le secret-défense devront rester à huis-clos, mais pour le reste nous allons faire en sorte d’ouvrir le maximum d’auditions au public et à la presse, car c’est là un des intérêts de cette commission.
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