Le dialogue social est-il mort ? 

    Article proposé par Sandrine Foulon pour Alternative Économique

    Les partenaires sociaux ont-ils encore leur mot à dire ? Les fameux « corps intermédiaires » sont-ils capables de peser dans la balance pour infléchir les décisions gouvernementales ? « La méthode Macron, c’est vous discutez et je tranche », résumait Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, fin février dans Les Echos.

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    « La méthode Macron, c’est vous discutez et je tranche », Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT

    Assurance chômage, formation professionnelle, SNCF…, les réformes se succèdent à un rythme effréné pour les partenaires sociaux. Mais « la démocratie sociale, ça va avec la démocratie tout court. Sans démocratie politique, on ne peut pas avancer », estime Jean-Marie Pernot, chercheur à l’Ires et spécialiste des relations sociales.

    L’exécutif reprend la main

    Or, depuis la loi travail adoptée via le 49-3 à l’été 2016, en passant par les ordonnances Macron réformant le code du travail, jusqu’au changement de statut des cheminots annoncé, là aussi, par ordonnances, le débat syndical et parlementaire perd de sa consistance. Comme l’Unsa, Sud-Rail et la CFDT, Laurent Brun, le secrétaire national de la CGT cheminots a fait part de ses inquiétudes : « L’unanimité contre la méthode du gouvernement, qui pourrait passer en force avec les ordonnances, est évidente. » Les syndicats, FO compris, descendent dans la rue le 22 mars aux côtés des fonctionnaires. Avant trois mois de grève en pointillé prévus à la SNCF dès le 3 avril.

    Sur le papier pourtant, la démocratie sociale a tout pour fonctionner. La loi Larcher de 2007 impose en effet que tout projet gouvernemental impliquant des réformes dans le domaine de l’emploi, des relations de travail ou de la formation professionnelle soit précédé d’une concertation avec les organisations syndicales et patronales (ces dernières pouvant alors demander l’ouverture de négociations). Et l’essentiel du contenu d’un accord national interprofessionnel (ANI) est ensuite repris dans une loi, sachant que le jeu des amendements peut faire évoluer le contenu d’une réforme.

    « La méthode a le mérite de la franchise, mais elle est encore plus verticale et autoritaire. Le dégagisme touche aussi les relations sociales »

    « Cet équilibre fragile ne date pas d’hier, note Jean-Marie Pernot. Dans le précédent mandat, il y avait beaucoup de mises en scène : le gouvernement organisait des sommets sociaux, distribuait des feuilles de route aux partenaires sociaux avec un calendrier serré et finissait, lui aussi, par imposer ses orientations. On l’a vu avec la loi El Khomri. Aujourd’hui, la méthode a le mérite de la franchise, mais elle est encore plus verticale et autoritaire. Le dégagisme touche aussi les relations sociales. »

    Fin février, les partenaires sociaux avaient en effet à peine bouclé coup sur coup deux accords, sur l’assurance chômage et la formation professionnelle, que la ministre du Travail annonçait son propre « big-bang » de la formation professionnelle. Pour « aller plus loin » que l’ANI, Muriel Pénicaud veut que la future contribution unique des entreprises pour la formation et l’apprentissage (1,68 % de leur masse salariale) soit collectée par les Urssaf et non plus par les organismes paritaires collecteurs agréés (Opca). Un nouveau coin du paritarisme1 est ainsi enfoncé, les Opca étant appelés à devenir, dès 2020, des « opérateurs de compétences » chargés d’anticiper les évolutions des métiers.

    Sur l’assurance chômage, les marges de manœuvre des partenaires sociaux, déjà minces, se réduisent

    Certes, du côté de l’assurance chômage, le gouvernement a lâché du lest. Il a promis de reprendre l’intégralité du compromis trouvé par les partenaires sociaux. Et ces derniers conservent la gestion paritaire de l’Unédic, alors que le candidat Macron avait annoncé sa possible nationalisation. Mais, là encore, leurs marges de manœuvre déjà minces – c’est toujours l’Etat qui choisit in fine d’agréer ou non une convention d’assurance chômage – se réduisent encore plus. A l’avenir, les organisations syndicales et patronales recevront une lettre de cadrage financier strict et des objectifs à atteindre avant la négociation d’une nouvelle convention.

    Quant au contenu de l’accord du 22 février, c’est l’exécutif qui, à la demande des syndicats, reprendra la main pour mettre en place un ­bonus-malus sur les contrats courts, faute d’accord dans les branches professionnelles.Les partenaires sociaux ne cessent de perdre du terrain : la logique de forfaitisation des allocations chômage qui s’amorce (800 euros par mois pour les indépendants) ainsi que la suppression des cotisations chômage payées par les salariés (remplacées par une hausse du taux de la CSG) modifient le système assurantiel actuel. Et fragilisent d’autant la légitimité des partenaires sociaux à négocier sur ces questions.

    Au chapitre des sanctions imposées aux chômeurs qui ne respectent pas leurs obligations, c’est encore le gouvernement qui a pris l’ascendant

    Au chapitre des sanctions imposées aux demandeurs d’emploi qui ne respectent pas leurs obligations, c’est encore le gouvernement qui a pris l’ascendant. Le 19 mars, le directeur de cabinet de la ministre du Travail a présenté aux syndicats un renforcement des mesures : gradation des mesures punitives, possibilité pour les agents de Pôle emploi d’amputer le montant des allocations, offre raisonnable d’emploi simplifiée, expérimentation d’un carnet de bord où le demandeur d’emploi devra consigner ses démarches actives de recherche…

    Des syndicats affaiblis

    Si la place des partenaires sociaux est fragilisée au niveau national, les autres étages de la fusée – négociations de branche et d’entreprise – se portent-ils mieux ? Encore très nombreuses, les branches ne fonctionnent pas toutes à plein régime. Faute de négociations, plus de 10 % d’entre elles avaient toujours, fin 2016, des salaires minima inférieurs au Smic. Les entreprises de prévention et de sécurité, l’hospitalisation privée, l’hôtellerie… font partie de ces mauvais élèves.

    Reste donc la négociation d’entreprise, qui a la faveur des gouvernants. François Hollande, puis Emmanuel Macron ont accéléré cette tendance à décentraliser au maximum la négociation. « On peut avoir des débats : certains considèrent qu’il y a un intérêt en matière de flexibilité à signer des accords au plus près du terrain ; d’autres soulignent les risques de recul des droits sociaux… Mais une fois qu’on a choisi ce niveau-là, il faut faire en sorte que la régulation des instances représentatives du personnel (IRP) suive. Or, on assiste à une sorte de contradiction qui consiste à demander aux syndicats de négocier toujours plus d’accords sur des thèmes très variés, tout en les contournant », estime Thomas Breda, économiste à l’Ecole d’économie de Paris, spécialiste des IRP.

    « On assiste à une sorte de contradiction qui consiste à demander aux syndicats de négocier toujours plus, tout en les contournant »

    Au début des années 2000 a commencé un processus de renforcement de la représentativité des syndicats et de leurs délégués. Depuis 2008, ces derniers ne sont plus désignés par leur centrale syndicale mais élus. Leur légitimité est désormais assise sur les élections professionnelles. Des critères d’audience ont été introduits pour valider les accords qu’ils signent. « Ce renforcement pouvait apparaître comme une étape préalable utile aux lois qui donnent plus de place à la négociation d’entreprise. Cependant ces textes récents introduisent aussi pour la première fois la possibilité de se passer des syndicats pour valider des accords, ce qui va à l’encontre du mouvement précédemment engagé », poursuit le chercheur.

    D’un côté, les dernières lois consacrent l’accord majoritaire qui doit être signé par des syndicats ayant recueilli 50 % au moins des suffrages aux élections professionnelles. Le dialogue social est ainsi érigé en garde-fou contre les dérives possibles de l’employeur : pour qu’un projet soit appliqué, il faut qu’une majorité de syndicats l’approuvent. Mais de l’autre, cet accord majoritaire est contrecarré par le recours au référendum. Lorsque des syndicats signent un accord minoritaire (représentant 30 % des salariés), ils peuvent demander leur avis aux salariés. La loi travail issue des ordonnances Macron a même ouvert cette possibilité aux employeurs. Et dans le cas où l’accord minoritaire est plébiscité par les salariés, il s’applique, indépendamment de l’opposition des syndicats majoritaires pourtant élus.

    Le référendum permet de valider les propositions de la direction dans les petites entreprises sans passer par des syndicats

    Cette consultation directe permet aussi d’entériner les propositions de la direction dans les petites entreprises sans passer par des syndicats. Les ordonnances ont pu prospérer sur le manque d’élus dans les entreprises. Mais là encore, les dernières lois travail risquent d’enfoncer le clou. La fusion obligatoire des IRP (CHSCT, comité d’entreprise et délégués du personnel) au sein d’une délégation unique du personnel (DUP) a pour effet de réduire le nombre de mandats d’élus qui sont déjà peu nombreux à vouloir se présenter. D’autant que les élections professionnelles se déroulent tous les quatre ans et non plus tous les deux ans. De quoi hésiter avant de sauter le pas.

    Comment ranimer la démocratie sociale

    « Une démocratie sociale qui fonctionne repose aussi sur la capacité des syndicats à se mettre d’accord, poursuit Jean-Marie Pernot. Si Emmanuel Macron avance dans un relatif confort, c’est parce que nos syndicats sont divisés. » Et qu’ils ne sont plus en mesure de construire de réels rapports de force. « En Suède, le patronat sait qu’en cas de grève dans le textile, le syndicat IF Metall peut payer les salaires pendant des dizaines d’années. Chacun prend ses responsabilités », note Thomas Breda.

    « En France, les délégués syndicaux sont payés 10 % de moins en moyenne que les autres salariés »

    Pour ce chercheur, la démocratie sociale ne peut fonctionner que si ces institutions sont reconnues. « En France, les délégués syndicaux sont payés 10 % de moins en moyenne que les autres salariés. Il faudrait revaloriser les carrières syndicales et sans doute revoir le financement du dialogue social en entreprise pour éviter que les employeurs redoutent d’avoir à payer des frais supplémentaires de local syndical ou d’heures de délégation lorsqu’un nouveau syndicat se crée. Cela fait partie des nombreuses pistes possibles. »

    Dans la foulée du rapport Notat-Senard, la future loi Pacte pour réformer l’entreprise, prévue à l’été, pourrait accroître le nombre d’administrateurs salariés, à ce jour très faible. Cette mesure à laquelle les syndicats se sont ralliés – pour certains tardivement – irait dans le sens d’une codétermination à la française. Davantage de pouvoir des salariés dans les conseils d’administration serait bienvenu. Mais cela suppose de renforcer tous les échelons du dialogue social. Dans les pays qui promeuvent ce modèle, l’un ne va pas sans l’autre. Les syndicats y sont plus puissants….

    Source : Le dialogue social est-il mort ? | Alternatives Economiques

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