Histoire de transparence et d’information en matière nucléaire …

    Histoire de transparence et d’information en matière nucléaire

    Article proposé par Jérôme Graefe pour departement-juridique.fr

    Fin 2014 à la suite de la découverte d’une anomalie sur la cuve en construction à la centrale de Flamanville, l’Autorité de sûreté du nucléaire avait demandé au fabricant AREVA NP de mener une revue de la qualité de la fabrication dans son usine de Creusot Forge[1]. L’objet de l’audit porte sur la conformité d’AREVA NP aux exigences relatives au système de management de la qualité imposé par les prescriptions définies par l’agence international de l’énergie atomique (AIEA) importantes en matière de sûreté. Greenpeace et Réseau Sortir du Nucléaire intéressées par les informations environnementales et la sûreté nucléaire ont donc demandé la communication de ce rapport au gendarme du nucléaire conformément au droit d’accès à l’information[2].                                                                    

    L’Autorité de sûreté nucléaire a transmis une première version du rapport en quasi-totalité caviardée[3] déléguant sa compétence à l’entreprise privée AREVA NP pour l’appréciation des éléments couverts par le secret industriel et commercial et ce, nonobstant sa mission de participation à l’information du public et de transparence confiée par le législateur à l’article L592-1 du code de l’environnement. Les associations insatisfaites par la transmission du rapport vidé de sa substance ont saisi la Commission d’Accès aux Documents Administratifs.

    La CADA a alors rappelé l’ASN sur ses compétences en matière d’identification des éléments qui relèvent ou non du secret industriel et commercial. La commission ajoutait que l’ASN devait aussi apprécier si la communication de certains éléments du rapport pouvait porter préjudice à l’entreprise et en conséquence les caviarder[4].

    L’ASN a transmis une deuxième version du rapport dépourvue de tout caviardage prenant en compte l’avis de la commission. Cependant, quelques semaines après la boulette, le gendarme a choisi de revenir sur son élan de transparence retirant sa décision et joignant à son dernier courrier une troisième version caviardée du rapport dans laquelle les éléments portant atteinte au « secret industriel et commercial » ont été masqués[5].

    Une attitude qui montre le difficile ménage entre secret industriel et obligation de transparence et d’accès à l’information environnementale sous le toit de la démocratie nucléaire française…

    Néanmoins la transmission hasardeuse du rapport dépourvu de caviardage aura permis aux associations de lever l’obscurité sur la transparence nucléaire par une lecture comparative des versions de l’audit et, d’apprécier la notion de secret industriel et commercial vue par le prisme de l’ASN et d’AREVA NP[6]

    La comparaison montre que tant le gendarme du nucléaire que la société AREVA NP ont apprécié de manière très extensive le secret industriel et commercial pour y mettre des informations plus d’ordre réputationnel que concurrentiel pour l’entreprise privée et son usine de Creusot Forge.

    Le droit français dérive : il ne définit pas clairement le secret industriel et commercial, ce qui en permet une large appréciation faisant tomber potentiellement tout type d’information sous sa coupe. Une absence de cadre qui conduit au défaut d’application du principe d’interprétation restrictive des motifs de rejet[7] , d’une réticence « culturelle à la transparence » au sein de l’administration française[8]  et de l’invocation fréquente du secret industriel et commercial dans le but de bloquer le libre accès à l’information[9] .

    Ces dispositions semblent contraires aux droits européen[10] et international[11] qui eux soumettent ce refus exceptionnel de communiquer l’information environnementale à la démonstration d’un but de défense d’intérêt économique légitime. De même l’exception française de refus de communication d’information environnementale fondée sur l’atteinte réputationnelle n’est ni prévue par le droit de l’Union, ni par la Convention d’Aarhus. On peut donc légitimement s’interroger sur la conventionnalité de notre droit.

    Le 25 janvier 2018, le tribunal administratif de Cergy saisi par les associations a rejeté leur requête considérant que ni la transmission d’une nouvelle version tronquée du rapport, ni la mention précisant que « le précédent courrier est annulé » ne pouvant être considéré comme un refus de communication ou comme un retrait [12] la décision ne faisant pas grief. Une position de la juridiction qui semble pour le moins étonnante. Les associations se sont pourvu devant le Conseil d’Etat devrait se prononcer sur la question.

    La décision qui semble anodine met en lumière l’état du droit français et en dit long sur la prégnance des intérêts privés face l’intérêt général du public et son droit d’accès à l’information environnementale. Un droit d’information qui semble déséquilibré par une nouvelle estocade législative sacralisant le secret des affaires [13].

    Derrière le cas d’espèce une question persiste : Comment un peuple peut-il librement disposer de lui-même et prendre des décisions rationnelles s’il ne peut mettre dans la lumière du débat démocratique toute information éclairant l’intérêt général ? Tel est le casse-tête auquel devra répondre le Conseil d’Etat.

    En attendant, au pays de l’industrie nucléaire sous le toit du secret, ni l’obligation de transparence, ni le droit d’accès à l’information ne font bon ménage dans cette « démocratie ».

    Jérôme GRAEFE

    Elève-avocat, spécialiste du droit de l’environnement


    [1] Source : Site de l’ASN https://www.asn.fr/Informer/Dossiers-pedagogiques/Anomalies-de-la-cuve-de-l-EPR-et-irregularites-usine-Creusot-Forge-d-AREVA

    [2] Droit d’accès à l’information environnementale consacré à l’article L124-1 du code de l’environnement, et article 7 de la charte de l’environnement de 2004.

    [3]Source site réseau sortir du nucléaire :  http://sortirdunucleaire.org/Rapport-d-audit-du-Creusot-Areva-masque-la-quasi

    [4] Avis de la CADA du 7.10.2016

    [5] Décision de l’ASN du 19.01.2017 accessible sur : http://sortirdunucleaire.org/Exclusif-Publication-du-rapport-sur-les-pratiques

    [6] Rapports accessibles sur : http://sortirdunucleaire.org/Exclusif-Publication-du-rapport-sur-les-pratiques

    [7] Rapport d’exécution de la convention Aarhus 2011 p.11/37

    [8] Ibid. p. 10 et rapport d’exécution de la convention Aarhus 2007 p.8/29

    [9]Projet de rapport d’exécution de la convention Aarhus 2017 p.11/40

    [10] Directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003

    [11] Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée le 25 juin 1998 approuvée par la loi n°2002-285-285 du 28 février 2002

    [12] TA Cergy ordonnance n°1711828-6 du  25 janvier 2018 accessible sur : http://www.sortirdunucleaire.org/IMG/pdf/courrier_tribunal_cergy_ordonnance_affairerezo_gp_asn2018.pdf

    [13] http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl17-388.html

    Source : Histoire de transparence et d’information en matière nucléaire – Département Juridique

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